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doxale des arguments de fait qui peut-être la soutiendraient, n’a jamais suffi à la rendre philosophique. Il y a vraiment dans ce livre, plus que dans tout autre du même auteur, un parti-pris d’ignorer toujours un aspect des questions et de méconnaître les difficultés qui arrêtent tant de chercheurs sincères autant que profonds. Le ton est agressif. Il y a quelque injustice à déclarer que ceux qui seront d’un autre avis sont des esprits prévenus, esclaves de vieux préjugés, ou des ignorants en matière scientifique, des « observateurs paresseux ou peu enclins à raisonner » (p. 179). Au risque de passer à notre tour pour des esprits prévenus, nous avouerons que nous trouvons un peu fragile la négation de la liberté fondée sur des expériences aussi spéciales que celles de Pfeffer (influence chimiotactique de l’acide malique sur les anthérozoïdes de fougères) et que nous ne comprenons pas bien comment « la conscience de l’être vivant se constitue au moyen de consciences de substances mortes » (p. 224).

Qu’est-ce que la sociologie, par C. Bouglé, professeur de philosophie à l’Université de Toulouse. 1 vol. in-12 de 175 p., Alcan, 1907. — Ce livre est un recueil d’articles et d’études qui ont paru soit ici même, soit dans la Revue de Paris, soit dans la Revue internationale de l’Enseignement, soit dans l’Année sociologique. Dans ses articles M. Bouglé a essayé pour les « non initiés », nous dit-il, « de préciser les thèses qui séparent les professionnels » (p. 2). Il traite des « Rapports de l’histoire et de la science sociale selon Cournot », et prend parti dans la querelle entre historiens historisants et historiens sociologues ». Il étudie les rapports « de la Sociologie populaire et de l’Histoire » et s’amuse, avec beaucoup d’adresse, à prendre les historiens-historisants comme M. Bloch et M. Luchaire, et les écrivains comme M. Maurice Barrès ou M. Paul Adam, en « flagrant délit de sociologie inconsciente ». C’est ingénieux. Mais on pourrait tout aussi bien s’amuser à prendre les sociologues en flagrant délit de psychologie inconsciente. Et M. Durkheim, dans La Division du Travail social, a écrit sur le bonheur telles pages toutes psychologiques, et d’une psychologie qui n’est pas moins « populaire » que la sociologie des « historiens historisants ». — Dans une autre étude M. Bouglé dénombre toutes les théories récentes sur la « division du travail social ». Ce rapport précis et documenté a déjà paru dans l’Année Sociologique de 1903.

Enfin, en tête de ce petit volume, M. Bouglé a placé une étude intitulée : « Qu’est-ce que la Sociologie ? », qui a paru dans la Revue de Paris de 1897 et qui donne au livre son titre. Titre ambitieux. Car M. Bouglé, au bout du compte, ne répond pas complètement à la question qu’il pose. Et il ne donne pas de la sociologie une définition vraiment complète. Car enfin, on voudrait bien avoir l’opinion de M. Bouglé sur les rapports de la sociologie et de la morale. Il aurait dû nous dire si, comme M. Lévy-Brühl, il réduit toute la morale à la sociologie appliquée, ou si, comme M. Rauh, il veut maintenir l’autonomie de la morale, ou s’il, se range à l’opinion de M. Durkheim, qui cette année, dans son cours, affirmait que la sociologie peut non seulement fonder la morale, mais encore renouveler la critique de la connaissance ? Mais M. Bouglé se borne à expliquer (il l’explique fort bien, à vrai dire) que la sociologie, c’est la science des formes sociales. Il pense probablement que son étude vaut par la modestie même et la prudence de ses conclusions : qu’aussi bien il n’entendait rien faire qu’un bon article de vulgarisation, que cet article s’adressait au grand public, et que, d’ailleurs, il date de 1897.

Questions esthétiques et religieuses, par Paul Stapfer, doyen honoraire de la Faculté des Lettres de Bordeaux. 1 vol. in-8 de 208 p., Paris, Alcan, 1906. — M. Stapfer réunit sous ce titre trois essais. Le premier, La question de l’art pour l’art, est un intéressant examen historique du problème si souvent débattu des rapports de l’art et de la morale. Le second est consacré à la philosophie religieuse de Pierre Leroux. Le troisième, qui doit nous arrêter un instant, est une étude sur La crise des croyances chrétiennes. Ce qui distingue la crise actuelle de toutes les précédentes, pense M. Stapfer, c’est « qu’elle présente bien moins l’aspect caractéristique d’une crise, — j’entends d’un trouble violent et passager qu’un rétablissement de santé suivra, — que celui de la fin toute naturelle et paisible d’une chose qui a l’air de mourir, simplement parce qu’elle a vécu assez longtemps » (p. 149-150).

L’antinomie de la religion et de la raison, ou de la science, est incontestable : si l’on étudie la psychologie des croyants modernes, l’on s’aperçoit qu’ils s’accommodent tant bien que mal d’une cote mal taillée entre leurs croyances traditionnelles et les exigences de leur raison. Le sentiment religieux ne peut désormais, conclut l’auteur, se satisfaire