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sous d’autres noms, des Cliniques des Croyances, ou des Instituts orthopédiques pour le redressement de la Foi » (p. 41). Vient ensuite l’analyse des procédés pour persuader autrui : la parole d’abord, mais conçue comme instrument de suggestion plutôt que comme expression de concepts ; l’équivoque, la répétition, la comparaison, les formules conciliantes ou insinuantes, les euphémismes, l’évocation de l’avenir, l’autorité du passé ; les lieux communs, les exemples ; l’ironie, la caricature, les assomptions tacites, l’art « de l’érudition économique et de l’organisation de sa propre culture » ; et tout cela pourrait aboutir, nous dit-on, à un utile « Manuel de Charlatanisme scientifico-littéraire » (p. 90) ; – et tout cela souvent ne manque pas de finesse. – Dans sa conclusion, M. Prezzolini insiste sur le caractère tout personnel du don de persuader : c’est la volonté qui crée la foi ; « si quelque chose nous éloigne de l’intelligence, c’est la persuasion ». Dès lors pourquoi ne pourrait-on pas concevoir la possibilité « d’abolir la parole comme intermédiaire », d’agir hypnotiquement, extérieurement, à distance, sur les croyances ou les volontés ? « La création arbitraire du moi, la création et la transformation arbitraire du monde », seront les qualités qui distingueront l’homme de l’avenir, magicien plutôt que savant ; l’animal rationnel cèdera la place à l’animal créatif » p. 102).

Ainsi, jusqu’au bout, ce manuel d’anti-intellectualisme ne méconnaît qu’une chose : c’est que le mensonge imite la vérité, que l’art de persuader ne fait jamais, par l’emploi même des procédés les plus étrangers à la raison, qu’essayer de suppléer à l’emploi des procédés rationnels, et de donner l’illusion de la raison : si bien que, non seulement celle-ci reste première en droit, mais qu’en fait même ces expédients ne valent qu’en tant qu’ils conservent quelque chose d’elle encore, ne trompent l’esprit qu’en faisant luire devant lui des vraisemblances, des probabilités, qui ont l’apparence de raisons. — Mais il faut reconnaître que M. Prezzolini est fort habile à appliquer ses propres théories, et qu’il pratique avec dextérité l’Art de persuader… qu’on a du génie.

Sulle tracce della vita, saggi, par Leo G. Sera, 1 vol. in-8 de xxii-312 p., Rome, Bernardo Lux, 1307. – On reconnaît, au titre, un adepte de la philosophie à la mode. Mais cette philosophie elle-même, nous la voyons tantôt viser à l’édification, tantôt viser au scandale. Chez M. Sera, elle vise au scandale.

M. Sera, en Nietzschéen véritable, n’expose pas sa pensée sous une forme systématique ; il procède sinon par aphorismes, du moins par essais détachés (sur l’amour, sur Stendhal, sur Nietzsche, sur le Nord et le Sud, etc.) M. Sera cependant est un bâtisseur de système ; et sa philosophie, qui est une philosophie de l’histoire, repose sur une antithèse entre la notion d’espèce et la notion de société. Ce dont l’espèce a besoin pour se perpétuer, pour conserver l’intégrité du type, c’est d’individus qui soient de bons étalons, qui soient brutaux, qui soient paresseux, et chez qui la sexualité soit ardente. Peuples du midi, races belles sous de beaux climats c’est là que, dans le milieu qui lui était propre, se développa l’humanité primitive. Ce dont la société a besoin pour ne pas se désagréger, c’est d’individus qui soient de bons citoyens, qui soient sociables, laborieux, chastes, qui visent non à manifester leur force et à assouvir leurs besoins, mais, a respecter les droits du prochain, et même les droits de la femme. Les faibles, fuyant la brutalité des forts, fuirent vers les climats plus ingrats des régions septentrionales. Ils s’unirent pour vivre dans des conditions plus difficiles : l’union des faibles produisit la morale du travail et de la chasteté ; ou, pour tout dire en un mot, la morale. Et c’est une loi constante que la civilisation monte sans cesse vers le Nord, que la sociabilité augmente, et que la sexualité décline, que la science progresse et que l’art dégénère ; que des sociétés toujours plus fortes se constituent avec des individus de qualité toujours plus médiocre. De temps en temps, par bonheur, s’ouvre une période de décadence, de désordres économiques et sexuels et pour un temps, par l’émancipation des individus, le type de l’animal humain se régénère.

Bref, la philosophie de Nietzsche, interprétée par un Napolitain — que dis-je ? par un Napolitain : c’est « par un Nègre » qu’il faudrait dire. Beaucoup de verve, d’amphigouri aussi, beaucoup de jeunesse, beaucoup d’ignorance. Faut-il demander à M. Sera sur quels documents il s’appuie pour affirmer que les excès sexuels sont favorables à la conservation et à l’amélioration de la race ? et sur quelles observations anthropologiques, ethnographiques, démographiques se fonde sa fantastique théorie de l’histoire de la civilisation ? Lui demanderons-nous encore au nom de quelle préférence sentimentale il nous propose un idéal contradictoire, de son propre aveu, avec la loi de l’histoire telle qu’il la définit ? Le Socrate du Gorgias faisait à Calliclès une