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cette explicitation se fait à travers un donné objectif, et en ce sens la culture est la solution véritable des rapports entre le sujet et l’objet. Dans la culture se réalise donc « la synthèse d’un processus subjectif et d’une valeur spirituelle objective. » C’est là ce qui explique que des œuvres en elles-mêmes parfaites, consommées (abgerundete), n’apportent à la culture qu’une contribution presque nulle : c’est qu’elles ne s’adressent pas à la totalité de notre vie personnelle et n’intéressent que ce qui en nous est objectif.

La tragédie de la culture consiste en ce que ces contenus objectifs développent une nécessité qui peut se trouver en antagonisme avec les exigences de notre individualité. C’est ainsi qu’une pluralité de consciences, par le seul fait qu’elle est pluralité, peut donner naissance à un produit dont le sens spirituel n’était pour aucune d’elles prise séparément. Dans le stade d’objectivation qui est comme le stade médian de la culture, le produit obéit à une logique propre qui le transforme. Ceci est manifeste par exemple dans ce qu’on peut appeler l’émancipation des techniques particulières, qui finissent par se détacher des fins qu’elles devaient d’abord servir pour prendre une existence indépendante et en quelque sorte usurpée. Le tragique, ici comme ailleurs, se définit par le fait que « les puissances qui ont jailli des sources les plus profondes d’un être se révèlent destructives, négatrices de cet être même ».

Rickert. Das Eine, die Einheit und die Eins (pp. 26-78).

Cet important article est une contribution à l’étude des rapports de la logique et de la mathématique. L’auteur entreprend de montrer qu’il n’y a pas de passage de l’unité logique à l’unité mathématique, et que par suite le nombre n’est pas un être purement logique. La distinction et l’unité de l’Un et de l’Autre, sur lesquelles repose toute détermination logique, ne permettent pas de passer au dualisme et à l’unification de l’unité et de la pluralité qui rendent possible toute considération numérique. Il s’agit en somme pour Rickert d’échapper au dilemme d’un empirisme et d’un formalisme logique du nombre, et de fonder ce qu’il nomme un empirisme transcendental. La démonstration repose sur le fait que l’Un et l’Autre logiques ne peuvent être pensés que comme distincts mais non comme interchangeables (car la permutabilité implique l’idée de place, qui est vide de sens dans l’ordre logique). Il ne saurait donc y avoir d’égalité dans le monde logique, et ceci suffit à le distinguer du monde mathématique. De la distinction qui sépare l’égalité de l’identité, Rickert s’élève à celle qui sépare le et (logique) du plus (alogique). Il insiste enfin sur l’impossibilité de parler de séries logiques, la notion de série logique supposant précisément la confusion précédemment dénoncée. Suit une critique du « rationalisme psychologique » et de l’idée de position qui n’est que pseudo-logique (en réalité psychologique). Rickert donne ensuite quelques indications sur la nature des facteurs proprements alogiques qui interviennent dans le nombre : l’égalité suppose l’homogénéité du milieu dans lequel les termes se situent et l’existence du quantum, qui se différencie bien entendu du pur objet logique.

L’article se termine par des considérations sur le type d’unité que requiert le monisme, unité qui se distingue de l’unité numérique et est une identité des contraires. Rickert semble laisser entendre que cette élimination est pour lui un devoir infini (au sens de la dialectique transcendentale).

Sergius Hessen (pp. 92-112), dans un article intitulé Mystik und Metaphysik, s’efforce de rapprocher la métaphysique de la mystique. De même que la métaphysique outrepasse les limites qui séparent les sciences positives de la philosophie, science des valeurs ou des conditions formelles, de même qu’elle convertit en être transcendant une réalité immanente empruntée au domaine d’une science particulière, de même le mysticisme consiste à outrepasser les limites qui séparent le domaine de la philosophie et de la culture, de la sphère du « vécu » irrationnel et de la mystique, il oublie que l’objet de la philosophie coïncide avec le domaine de la culture objective, c’est-à-dire indépendante du sujet humain ; le mysticisme est le produit illégitime de la rationalisation de la mystique.

Weizzacher (Neovilalismus, pp. 113-124) présente du point de vue kantien une critique du néo-vitalisme de Driesch ; où il voit une transposition, de caractère au fond empiriste, de la notion idéaliste de la finalité.

Rickert. — Lebenswerte und Kulturweite (pp. 131-166).

Dans cet article important et vigoureux, Rickert s’attaque au postulat biologiste qui définit toute valeur en fonction de la vie, posée elle-même comme critère unique et transcendant. Il montre comment ce postulat est à la base de la plupart des philosophies contemporaines. Il dénie aux sciences de la nature le droit de poser des