Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1914.djvu/2

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voici le paradoxe moteur : discordance entre le délire et les réactions qui s’ensuivent ; le paradoxe affectif : coexistence de phénomènes douloureux intenses et d’une insensibilité complète. Pour les réactions intellectuelles, leur étude montre que « le dynamisme psychique dont elle procède est intact et les troubles morbides tiennent non pas à la dégradation de l’énergie mentale, mais seulement à la manière dont elle est mise en œuvre. Les systématisations délirantes des malades échappent à notre logique. » Même si nous faisons appel à notre expérience affective pour expliquer le délire, nous rencontrons « la même difficulté à y trouver complètement satisfaction ». La conscience morbide vit dans une sorte de scandale logique, que suffit souvent à dissimuler le revêtement verbal qu’elle emprunte.

Ainsi « la conscience morbide présente des caractères sui generis ; elle est une réalité psychologique originale, irréductible à celle dont nous avons l’expérience, et nous ne pouvons par conséquent songer à la reconstituer en partant de la conscience normale, de ses états et de ses démarches ». Le problème, comme le fait remarquer M. Blondel, est très semblable à celui qui s’est posé pour l’interprétation de la mentalité des sociétés primitives. C’est de la solution apportée par M. Lévy Brühl à cette dernière question que s’inspirera l’auteur pour expliquer l’énigme de la conscience morbide. La conscience du normal est en effet loin d’être une donnée primitive, elle est toute pénétrée de social, elle est collective avant d’être individuelle. « Le système verbal dans lequel nous sommes habitués à nous parler notre pensée et que nous inclinons à lui identifier, ne reproduit pas, en réalité, l’ordre et la composition de la pensée pure dont il n’est pas l’unique mode d’expression, et tout système verbal, en s’appliquant à un état de conscience individuel, du fait qu’il est destiné à le rendre communicable, en élimine l’indéterminable part qui en constitue précisément l’individualité. « De même, la mimique, et l’émotion elle-même, le sentiment, sont beaucoup moins individuels qu’il ne pourrait le sembler de prime abord. De là ce paradoxe : « Notre vie consciente se passe à méconnaître la véritable nature de notre psychisme individuel et à nous chercher où nous ne sommes pas. »

Or, pour M. Blondel, le caractère objectif de la conscience morbide est précisément de ne pouvoir se plier à cette discipline collective. Il faut la considérer comme « une conscience individuelle se conservant toujours tout entière, dans tous ses détails, présente à elle-même et incapable, par conséquent, de se réduire à la forme socialisée ». C’est chez le malade qu’il faudra donc chercher le psychologique pur. Ce psychologique pur, c’est pour l’auteur, la cénesthésie, inconsciente chez le normal, ou tout au moins refoulée à l’arrière-plan et en partie conceptualisée : « une conscience est morbide dans la mesure où, la décantation cénesthésique ayant cessé de s’y produire, il adhère aux formations de la conscience claire des composantes inaccoutumées, anormalement irréductibles ».

Reprenant de ce point de vue nouveau les problèmes posés, M. Blondel tente de montrer comment les paradoxes et les contradictions qu’il avait soulignés dans la première partie de son exposé s’évanouissent, et il esquisse, à partir de cette théorie, une explication sommaire des principaux phénomènes pathologiques étudiés : le sentiment de mystère, les idées d’éternité et de négation, les pseudo-hallucinations.

Ce résumé, malgré sa sécheresse obligée, peut indiquer au lecteur la richesse et la profondeur de cette analyse absolument nouvelle de la conscience pathologique. La place nous manque pour aborder ici la critique d’une œuvre aussi considérable. Disons seulement que des deux parties de l’ouvrage c’est la première, celle qui, aux yeux de l’auteur, sert seulement d’introduction, qui nous parait de beaucoup la plus solide et la plus importante, malgré son caractère négatif. Il était extrêmement utile de montrer la difficulté, l’impossibilité presque, d’appliquer aux phénomènes pathologiques nos concepts logiques. La théorie du psychologique pur, et surtout le rôle qu’on fait jouer ici à la cénesthésie, appelleraient plus de réserves. D’autre part, les types étudiés par l’auteur ne constituent qu’un petit groupe parmi les malades mentaux : il ne s’agit donc pas ici de la conscience morbide en général, mais de certaines formes de cette conscience.

Sur Quelques Guérisons de Lourdes (Des Pseudo-tuberculoses hystériques), par le Dr  Jeanne Bon. Préface du Dr  Henri Bon. 1 vol. in-8o, de 146 p., Paris, librairie des Saints-Pères, s. d. — Parmi les cas de guérisons enregistrées à Lourdes depuis l’origine du pèlerinage, et qui étaient en 1908 au nombre de 3803, on relève 977 tuberculoses dont 329 phtisies. C’est à l’étude de ces derniers cas que s’attache l’auteur. Pour elle, l’explication qu’on donnait autrefois de ces guérisons, allé-