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s’étonne que l’État ne s’astreigne pas à faire dans ses propres écoles ce qu’il réclame des autres (p. 52), — sans s’apercevoir de la différence qu’il y a entre poser la loi comme une limite aux excès et en faire le promoteur de toute la moralité. Car, pour la Loi, c’est l’ « amour » et l’ « allégresse » que M. Marceron exige (p. 48), bien loin de concevoir la moindre critique ou le moindre soupçon. Il ne faut pas même raisonner la loi ; on doit lui obéir, parce que c’est la loi (p. 120). N’allons pas plus avant. — Qu’importe qu’il y ait plus loin de bonnes remarques sur le rôle de la famille, de l’école, sur la morale aux Facultés, que l’enquête faite par l’auteur en Suisse (particulièrement ce qu’il signale sur les Écoles Nouvelles), à l’appendice, soit pleine d’intérêt ; — par la base même, incroyablement étroite, qu’il donne à la morale scolaire, l’auteur s’interdit à lui-même de tirer de tout cela un véritable profit. En supprimant à la fois, comme sources d’inspirations, la conscience sociale et la conscience personnelle, il a tué dans l’œuf, sans s’en apercevoir, la moralité même. Son livre, comme il l’avoue, est bien un paradoxe. Mais ne serait-ce pas l’œuvre — un peu longue alors — d’un pince-sans-rire qui aurait voulu faire la caricature de la morale sociologique ?

Le Fondement de la Responsabilité pénale. Essai de philosophie appliquée, par Henri Urtin, 1 vol. in-8 de 105 pp., Paris, Alcan, 1911. — Les divers systèmes qui ont essayé de fonder la responsabilité pénale apparaissent à M. Urtin comme des conceptions individuelles et subjectives inutilement multipliées. Et, de fait, l’idée qu’il en donne, dans son chapitre Ier, sous forme de citations juxtaposées, sans effort de réduction ou de synthèse, peut bien paraître justifier cette impression. La vraie méthode, selon lui, doit être objective, sociologique. Sous le titre singulier de « synthèse pénale », c’est elle qu’il veut nous présenter. Il reproche aux criminalistes la recherche de l’intention. On doit considérer l’acte criminel, la violation de la loi. La loi sociale met au service de tous la force sociale. Le criminel bénéficie de l’ordre qu’il trouble. Il reste le débiteur de la société qu’il spolie. M. Urtin signale cette conception chez Nietzsche (Généalogie de la Morale, p. 112). — Pourtant nous n’en revenons pas à la simple doctrine classique, qui, elle aussi, ne considère que l’acte extérieur, non l’homme qui le commet. On ne peut dire avec elle : à crime égal, peine égale. Car en fait tous les criminels ne sont pas punis également. « La répression d’un acte criminel, dans un milieu social déterminé, y est d’autant plus sévère et impitoyable que cet acte y est moins fréquent. » Voilà la base objective cherchée. Le juge n’a plus qu’à faire consciemment ce qu’il fait déjà inconsciemment. La sécurité et l’unité juridiques y gagneront. « Il est juste que la pénalité diminue quand le crime augmente » (p. 73). Des mouvements provisoires de réaction subite contre la recrudescence brusque de certains crimes peuvent seuls nous voiler ce fait et sa légitimité. Plus le crime est fréquent, moins le criminel lui-même était protégé, moins sa dette est grande. La même règle doit servir à l’individualisation de la peine, du moins pour restreindre la marge encore laissée par le commencement d’individualisation déjà réalisé par les circonstances objectives du crime. M. Urtin échappe-t-il pourtant à toute subjectivité ? Il n’a pu se contenter d’utiliser une loi sociologique objective. Il a voulu nous prouver qu’elle était juste. Mais si la responsabilité se mesure légitimement à la dette, comment ne pas tenir compte de tous les autres facteurs qui la diminuent (éducation, milieu, misère) et voilà l’individualisation lancée dans une tout autre voie. Enfin la méthode objective peut-elle exclure de ses constatations les éléments moraux qui se mêlent à cette réaction sociale qu’est la peine et nier par conséquent que la moralité même du criminel influera sur cette réaction ? — Moins étroite au fond nous paraît la base choisie par l’auteur lorsqu’il s’agit de déterminer, non plus le fondement de la responsabilité, mais la nature de la répression. M. Urtin y voit une réparation, non individuelle, comme M. Monis, mais sociale ; il s’agit de contraindre l’individu à payer à la société la dette qu’il lui refuse, de le contraindre à l’exécution de travaux publics utiles. Et cette fois l’on nous montre aisément combien cette conception satisferait les doctrines les plus opposées : déterministes et partisans du libre arbitre, théoriciens de la défense sociale ou propagateurs de l’amendement moral. Et si l’on peut penser que des considérations d’un autre ordre (médicales, morales ou psychologiques) pourraient, là encore, utilement influer sur la répression, peut-être est-il juste de reconnaître que le système proposé s’y prête assez naturellement et que si l’auteur y exagère encore l’isolement du point de vue strictement pénal, il y a quelque mérite, dans la confusion des idées régnantes, à vouloir