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valeur sociale essentielle, c’est l’individu. Après tant d’autres, l’auteur critique notre conception à la fois chrétienne et économique du mariage, où les intérêts de la reproduction sont sacrifiés. La société occidentale commence à s’intéresser à l’enfant, mais insuffisamment encore, et un faux humanitarisme la conduit à s’occuper plus des déchets sociaux que des éléments sains. Mais l’excès de l’individualisme nous ronge et trouve son aboutissant naturel dans l’anarchisme contemporain. L’intérêt général doit donc tracer les limites du droit individuel. Pourtant l’auteur proclame le droit à l’oisiveté de celui qui, pouvant se suffire à lui-même, n’est pas nuisible, contre ceux qui songeraient à faire de l’oisiveté un délit ; — et les droits du sentiment individuel (union libre et polygamie) contre l’interventionisme social en matière d’union sexuelle. Cette intervention ne se justifie, à ses yeux, que dans l’intérêt de la reproduction. Il s’élève contre le monopole de l’enseignement et contre le communisme, mais accepte la suppression des successions collatérales ab intestat. Quant à l’utilisation des individus, l’erreur essentielle de notre société lui paraît être la croyance a l’égalité humaine. « La subordination, la coordination et la direction sont des lois sociologiques et biologiques générales. — L’inégalité est la condition fondamentale de l’évolution. » Or les sociétés doivent d’abord s’adapter aux faits naturels, au lieu de les combattre. Donc l’inégalité dans la valeur du travail justifie la liberté professionnelle et la propriété individuelle, comme l’inégalité politique justifierait la correction du suffrage universel par des éléments qualitatifs (corporatifs ou censitaires) et le principe d’autorité dans le gouvernement, comme l’inégalité des criminels justifierait l’inégalité des peines. Les conditions de l’unité sociale sont l’objet d’erreurs analogues : on ne veut pas assez voir la nécessité de la transformation des patries : des synthèses plus vastes aujourd’hui s’imposent. — Les valeurs une fois posées, l’auteur confronte avec elles les tendances actuelles. Il signale, devant la décadence des religions, l’avènement du spiritisme, du mysticisme, et voit dans la doctrine de la métempsycose le meilleur appui de la morale. Le relâchement du lien familial lui paraît une nécessité et un bien favorable a la colonisation. Il signale avec tristesse l’envahissement de l’Étatisme, préléminaire du collectivisme. La force du socialisme est de grouper des mécontents. En terminant, l’auteur dénonce cette marche envahissante des « barbares d’en bas » qui menacent notre civilisation occidentale. Et contre notre affaiblissement graduel, pour prévenir ce « Crépuscule de l’occident », c’est à l’union de l’Europe, à la synthèse des nations qu’il fait appel, en même temps qu’à un idéalisme héroïque sachant mépriser, ou plutôt honorer la mort. — Livre intelligent, en somme, mais bien inégal, comme tous ces livres prophétiques, et que n’aimeront pas les esprits plus soucieux de méthode et de questions approfondies que de vues universelles. Mais, pour M. Maxwell, le temps presse, le temps est à l’action, non plus à l’analyse, et ce souci de recherches patientes ne lui paraîtrait sans doute que pédantisme universitaire.

La Morale par l’État, par André Marceron, 1 vol. in-8 de 304 pp., de la Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, Paris, Alcan, 1912. — Si le respect de la loi s’en va, ce n’est assurément pas chez M. Marceron. L’État ne peut se désintéresser de l’enseignement de la morale, mais il doit rester neutre. Quelle est donc la base qu’il doit lui donner ? La loi, et rien de plus. La loi, c’est le véritable impératif catégorique, positif et réel. L’État ne doit pas connaître d’autre morale. Et il ne suffit pas pour cela à M. Marceron que l’État ne contraigne maîtres ou élèves à aucune métaphysique, il faut que tout pont soit coupé entre la morale et toute espèce de philosophie. Même en classe de philosophie, l’enseignement des systèmes devra rester purement historique, impersonnel et impartial. Bien plus, ce n’est pas même au nom de la conscience publique ou de la raison unanime que doit parler le maître ; la conscience publique est divisée ; quant à la raison ? à la conscience personnelle ? danger que tout cela ! Ce serait « une erreur pédagogique considérable et funeste » bonne à former uniquement des « indépendants ». Or le seul but de l’éducation nationale est de former des « conformistes, qui doivent agir, par eux-mêmes, conformément aux lois de l’État » (p. 111-112). Son rôle est de « mettre l’enfant au point ». Pour la même raison, on ne lui apprendra pas à être charitable. Car l’État « n’a pas à se préoccuper d’élever des révolutionnaires, et les esprits charitables sont des révolutionnaires de la coutume et de la loi » (p. 49). Et M. Marceron, constatant que l’État s’assure que les écoles libres « ne donnent pas un enseignement contraire aux lois et aux mœurs du pays »,