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présence, derrière la réalité matérielle de cette vie, d’une autre vie supranaturelle fondée elle-même sur une spiritualité absolue, d’une vie qui, par son efficace, s’insère dans la vie naturelle et se manifeste en elle. La science, l’art, la morale, la religion, révèlent une vie intérieure qui échappe aux lois de causalité et d’évolution ; l’histoire manifeste des valeurs éternelles, supra-temporelles ; l’action libre de l’homme crée et met au jour la personnalité, et le devoir de chaque individu est de devenir personnalité. Ainsi Eucken a apporté à l’homme moderne la métaphysique nouvelle dont l’homme moderne a besoin (50). Pourtant M. Kesseler se sépare d’Eucken, lorsque celui-ci rejette tout dogme, le miracle comme la divinité du Christ, les sacrements comme la résurrection : Eucken lui paraît « méconnaître le contenu religieux des dogmes » (p. 60) et, d’une manière générale, M. Kesseler se place à un point de vue plus strictement théologique qu’Eucken, et c’est de ce point de vue qu’il l’interprète et qu’il le juge ; il dit même nettement que sur le terrain de la christologie (p. 63) la théologie doit intervenir, rectifier et prolonger à sa manière la philosophie d’Eucken.

Formal Logic, by F. C. S. Schiller, fellow and senior tutor of Corpus Christi College, Oxford, Macmillan, London, 1912, 423 p. — Il est superflu de rappeler le passé philosophique de l’auteur de ce nouveau livre ; il compte parmi les promoteurs les plus convaincus de l’Humanisme, et parmi les adversaires les plus combatifs du rationalisme traditionnel. Le volume que nous présentons apporte à la discussion une contribution nouvelle et singulièrement intéressante. Au lieu de s’en tenir aux généralités philosophiques, l’auteur porte le débat sur le terrain de la Logique. Reprenant point par point l’exposition classique de la logique formelle, il entreprend d’en démontrer l’inanité et d’en dégager le vice radical. Le livre s’intitule « Formal Logic » ; il a, en réalité, pour but de prouver l’impossibilité d’une logique réellement formelle.

L’idée générale qui inspire toute cette critique est exposée dès la préface. En enseignant la Logique, l’auteur a senti mieux que personne l’incapacité où se trouvent les logiciens de traiter leur matière de façon consistante, sans glisser dans la métaphysique et la psychologie ; ils ne peuvent négliger l’usage actuel et concret des notions logiques et considérer en elles-mêmes les formes de la pensée, qu’en se condamnant à enlever à leur discipline toute vérité réelle et même toute signification (p. IX).

Cette erreur initiale apparaît dans la définition usuelle de l’objet de la Logique. Les logiciens lui assignent pour tâche d’étudier les règles auxquelles doit satisfaire la pensée vraie ; ils en attendent les moyens d’une distinction précise entre le faux et le vrai. Mais comme cette prétention apparaît dépasser singulièrement les pouvoirs d’une, science spéciale, ils bornent leur ambition à formuler les lois formelles de la pensée. De même que, dans les êtres de la nature, on peut distinguer la matière et la forme, de même nos idées, nos jugements peuvent être étudiés dans leur validité purement formelle, sans qu’on ait à se soucier de leur contenu. Mais, en s’astreignant à considérer la pensée en dehors de son contexte psychologique, le logicien ne s’aperçoit pas qu’il se condamne à n’étudier que des formes verbales et que sa logique devient une grammaire. Plus profondément encore la forme de la pensée est toujours relative à la matière qui la constitue actuellement et ne peut, par conséquent, en être légitimement abstraite (p. 5-6).

De ce faux point de départ dépend la contradiction qui s’attache à la notion même de « vérité formelle » Si, par définition la logique ne se soucie pas de la vérité matérielle du contenu de nos jugements, elle doit se borner à étudier, dans sa forme pure, l’affirmation de vérité qui se retrouve dans tous ces jugements. Mais alors, elle doit reconnaître qu’elle ne peut discerner le faux du vrai, car du point de vue abstrait qu’elle a choisi, tout jugement est une vérité qui s’affirme ; aucun jugement ne s’affirme comme faux ! (p. 7).

Ainsi, dès les premières définitions de la Logique formelle, apparaît la vanité de cette abstraction de la Forme, qui est son postulat initial ; nous allons suivre maintenant les conséquences de cette erreur à travers les doctrines classiques de la Logique.

Étudions d’abord la théorie des Termes, par laquelle s’ouvre la logique usuelle. Il convient de remarquer de suite que, dans une science de la vérité formelle, le terme n’a pas en réalité sa place, car ce n’est que dans la proposition qu’il y a affirmation de vérité.

Dira-t-on qu’en prenant le terme comme objet de son algorithme, la logique ne fait qu’user, comme toute science, du droit à l’abstraction ? Mais l’abstraction est légitimée dans les sciences par les résultats auxquels elle conduit ; dans la logique, elle n’est justifiée que par la déférence des logiciens pour la structure