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se développe en proportion des complications successives de la vie affective ; par le langage, véhicule des expériences, l’homme a appris à penser. La pensée ne serait pas sans la mémoire qui, comme toutes les qualités psychiques, a une base chimique et est un mouvement réflexe de la substance cérébrale. Toute matière est douée de sentiment : la pierre est sensible aux rayons du soleil puisqu’elle s’échauffe. Sentir, c’est être doué de réceptivité aux influences extérieures ; nous ne pouvons incorporer à notre pensée que ce qui, par l’intuition sensible, est entré dans notre vie affective. Par des moyens chimiques se constitue dans la matière ce que nous appelons esprit ; la vie toujours renouvelée de la raison a son fondement dans la perpétuelle rénovation des éléments chimiques ; comme l’homme et la raison, les éléments se modifient sans cesse tout en restant les mêmes. La chimie inclut la raison ; mais il faut rejeter la vieille théorie de la nature immuable des atomes ; l’évolutionnisme doit prévaloir sur l’immobilisme, les éléments n’ont pas toujours été soumis aux lois chimiques actuelles. — La source de l’énergie physique étant la même que celle de l’énergie chimique, l’intelligence se développe chez l’homme aux dépens de la force physique.

Gott und Wissenschaft, t. I, Psychologie der grossen Naturforscher, par E. von Cyon. Broch. in-8 de 154 p. Leipzig, Veit, 1912. — Cette brochure est une traduction allemande d’une partie de l’ouvrage français de M. de Cyon, Dieu et Science, dont il a été rendu compte ici même (Rev. de Métaph., suppl. mai 1910). Cette partie est celle qui concerne la psychologie des grands savants, et où sont critiqués le darwinisme et le monisme de Häckel au nom d’un déisme qui voit dans les lois du monde physique la révélation du Créateur. Ce livre sera sans nul doute, comme l’annoncent les éditeurs, « une mine apologétique pour les théologiens ».

Die Idee, par Kristian B. R. Aars. Kristiania, Dybwad, 1911, 1 vol. gr. in-8 de 163 p. Ce livre est une contribution à l’étude de l’origine de la pensée, à la théorie des concepts, à la critique de la raison ; il est constitué par une série de chapitres et de considérations dont le lien n’apparait pas toujours très nettement. Aars situe souvent sa propre pensée par rapport à celle de Kant qu’il juge avec indépendance et qu’il expose avec originalité : « si Kant sait que nous avons des facultés psychiques, ce n’est évidemment pas par une intuition sensible, mais par une intuition intellectuelle » ; « dans l’empirisme de Kant s’exprime une saine réaction contre l’intellectualisme exagéré de ses prédécesseurs ; on avait depuis les Grecs un culte malsain pour la logique et l’abstraction » (p. 23) ; le système de Kant est une grandiose théorie de l’énergie, orientée entre deux pôles ; deux systèmes d’énergies régissent le tout, à un des pôles les forces ou énergies qui sont ensemble désignées comme l’a priori, à l’autre pôle celles qui constituent le monde nouménal » (22). Aars, non content de repenser à sa manière le kantisme, le prolonge et le rectifie et montre (p. 25) « comment Kant aurait dû parler s’il avait voulu être conséquent dans son empirisme » (sic.). — La partie la plus intéressante de l’ouvrage est, à notre sens, celle consacrée au temps, à l’attente, et à ce que Aars appelle projection dans le temps. Aars pense avec Liebmann que l’objet est créé par interpolation, c’est-à-dire qu’il y a une activité humaine primitive consistant à remplir les perceptions avec le concept d’objet extérieur ; mais il pense (p. 90), contrairement à Liebmann, qu’en admettant que la durée de l’objet est créée par interpolation on abandonne la doctrine kantienne des phénomènes ; Aars appelle cette interpolation créatrice projection dans le temps parce qu’il estime contrairement à Helmholtz, que dans la perception des objets la projection dans l’espace est moins essentielle que la projection dans le temps, que l’espace même tient son objectivité de la projection dans le temps, et que par cette projection toute la réalité objective est originairement créée (p. 91). Aars donne comme « projections humaines primitives » la substance et la causalité (98), la force (p. 105), les dieux (p. 107). Signalons encore comme d’un réel intérêt les chapitres x et xi sur le nombre et l’infini et le chapitre xii où Aars dénonce le caractère ambigu de l’idée de condition logique. Il est regrettable que dans ce livre, où les idées ingénieuses ne sont pas rares, la systématisation tienne une place si petite ou si peu apparente qu’après l’avoir attentivement étudié on n’ait de la doctrine de l’auteur qu’une impression assez vague.

Teleologie und Kausalität. Ein Grundproblem der Geschichtsphilosophie, par Dr Horst Engert. Broch. in-8 de 50 p., Heidelberg, Winter, 1911. Ce sont des considérations méthodologiques sur la philosophie de l’histoire. L’auteur, disciple sur presque tous les points très fidèle de Rickert, se demande « si dans la science historique la sélection de ce qui a de la valeur est compatible avec le maintien général et rigoureux de la causalité », Après avoir étudié l’essence de la