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tation de notre vie. Elle indiquera à l’homme ses faiblesses, et aussi ses qualités et ses aptitudes. À côté de cette hygiène psychique de l’individu se développera une hygiène sociale. Les questions sociales, aussi et surtout les questions économiques sont pour une grande partie psychologiques. Ainsi à la vie de la société, comme à celle de l’individu, c’est la psychologie qui apportera une direction.

C’est elle aussi qui nous permettra de mieux connaître les hommes qui nous entourent : par là même se trouvera dissipée une autre source importante de malentendus et d’illusions dangereuses. « Tout comprendre, c’est tout pardonner. » Une science plus complète de l’homme adoucira les mœurs. Les luttes et les haines ne disparaîtront pas ; mais au moins les luttes de personnes, sans motif et sans utilité, diminueront de fréquence et de violence. Plus importante encore que l’action exercée sur les individus pendant leur vie, sera la transformation même de la race, obtenue par une meilleure entente des lois de l’hérédité.

Enfin, l’étude de la psychologie conduit, selon M. Heymans, à une philosophie spiritualiste, qu’il expose en quelques pages, philosophie générale voisine de celle des Stoïciens.

Vom geistigen Leben und Schaffen, par Carl Becker. 1 vol. pet. in-8 de 164 p., Berlin, Hugo Steinitz, 1912. — Ce petit livre est probablement un recueil d’essais ou d’articles dont les qualités de clarté et d’élégance sont incontestables ; les exemples y sont nombreux et le plus souvent heureux, les comparaisons abondantes et parfois ingénieuses : n’étaient quelques redondances et un certain abus d’une rhétorique assez creuse, l’ouvrage de M. Becker serait, au point de vue de la forme, remarquable pour un livre allemand. Malheureusement l’originalité de pensée et la rigueur philosophique y font étrangement défaut. D’abord il est impossible de saisir un ordre quelconque dans ces chapitres classés fort arbitrairement sous ces quatre rubriques dont la succession même est étrange : 1° les phénomènes spirituels dans l’homme ; 2° l’évolution spirituelle dans la vie sociale ; 3° l’individu ; 4° la vie spirituelle de l’humanité. M. Becker ne donne, le plus souvent, des notions philosophiques dont t il se sert que des définitions extrêmement vagues ; et il passe de l’une à l’autre avec une aisance qui montre qu’il n’a qu’une faible conscience de la difficulté des problèmes qu’il résout si élégamment ; c’est ainsi qu’il décrit p. 13 la formation du concept : « la perception crée en nous, par le réflexe, une image de l’objet perçu, l’entendement considère cette image, les propriétés de l’image se transforment dans l’entendement en concept ». Les confusions et les incertitudes de pensée abondent dans ce livre ; nous n’en citerons qu’un exemple p. 14-15 : « La perception et la formation des réflexes sont des processus involontaires qui peuvent, d’ailleurs, être produits par l’entendement ( ! ) ; l’entendement incite un organe des sens, l’œil par exemple, à faire les perceptions sensibles voulues par l’entendement ( ! ), à peu près comme on dispose un appareil photographique ; pourtant l’entendement est tout aussi passif dans la réception des perceptions ainsi faites que lorsqu’il s’agit de perceptions involontaires. » Enfin l’on chercherait vainement dans ce livre des idées neuves : partisan du monisme évolutionniste (pp. 44-45), disciple et admirateur de Häckel (p. 105), M. Becker affirme sans critique l’unité et l’inséparabilité de la matière et de la force, rejette le dualisme entre l’esprit et le corps, pose en principe que l’activité spirituelle est toujours à base de phénomènes matériels. Les perceptions des sens deviennent en nous des réflexes de l’association des réflexes naissent des pensées et des combinaisons ; toute connaissance consciente, toute formation ou application de concept, toute combinaison est un jugement de l’entendement ; voilà pour la psychologie. Et voici pour l’esthétique et la morale : toute notre existence est dominée parla tendance à l’harmonie : cet instinct de l’harmonie est la source de la sensation esthétique ; et « le diagramme de l’instinct d’harmonie qui crée les formes de la nature et détermine notre sensibilité esthétique, est la mathématique » (p. 151). L’idée de culture a suggéré à M. Becker quelques pages (112-121) qui sont, à notre avis, les plus intéressantes de son livre.

Das Wesen der Vernunft leichtfasslich dargestellt, par Adolf Keller, broch. pet. in-8 de 32 p., Unverdorben, Gross-Lichterfelde, 1911. — M. Keller exprime avec netteté et force, sans aucun scepticisme, un matérialisme chimique et un hylozoïsme dont il n’est pas impossible qu’il doive l’idée à Häckel. Il montre quelque originalité dans les rapports qu’il établit entre les théories. Les idées de l’homme changent avec tout son être : l’intelligence n’est autre chose que le sentiment : nous sentons telle idée juste, telle autre fausse ; le bon sens est un sentiment inséparable de tout notre moi ; l’intelligence, c’est-à-dire la capacité de faire et de systématiser des expériences.