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« répugnance invincible » de l’esprit. Vous deviez étendre et compléter l’analyse et les distinctions nécessaires : la géométrie par exemple comprend un étage de principes abstraits (en tant que système logique) et un étage de propositions s’imposant directement. Quant à votre division, je l’admets, avec cette restriction que des garanties philosophiques ne sont pas indispensables à un problème pratiquement résolu par le savant.

M. Darbon. — Nous arrivons toujours à des questions insolubles : mais la critique en diminue le nombre. Et comme toujours un problème philosophique se pose, la raison, se contrôlant elle-même, cherchera si un postulat admis peut s’appliquer à un problème connexe. La question est de savoir si le procédé est valable. Hume par exemple s’est contredit quand, après une théorie psychologique de la causalité, il essaie d’attribuer à cette notion une valeur objective : il devait conclure qu’on n’en peut rien savoir.

M. Lalande. — Votre critique postule un rationalisme qui réclame pour les notions des garanties absolues : c’est rester à l’état de tutelle, et réclamer par habitude l’intervention d’une autorité supérieure qui nous décharge de tout risque et de toute responsabilité.

M. Darbon. — Cette théorie des principes rationnels est un cercle vicieux.

M. Lalande. — Un cercle, soit, mais non vicieux. — Vous dites vous-même p. 147 quel’esprit « se fait confiance à lui-même dès qu’il commence à penser ». De même le hasard régissant le monde serait une « monstruosité logique » : ainsi le scepticisme est écarté d’avance. Cette manière de procéder diffère-t-elle, dans votre pensée, de l’appel que faisait l’école écossaise à notre croyance en une stabilité des lois de la nature ?

M. Darbon. — La régularité de la nature est supposée dans les hypothèses législatrices. Le hasard absolu ne peut être admis, suivant lequel n’importe quoi se produirait n’importe où et n’importe quand. Aussi chez Cournot ou Renouvier le hasard est-il discipliné, subordonné à l’ordre.

M. Lalande. — Le hasard absolu n’est pas impensable : à chaque instant chez les Épicuriens les murailles du monde peuvent s’écrouler. Qu’elles ne s’écroulent pas, c’est une forte probabilité, mais pour l’affirmer, il vous faut la croyance rationaliste aux règles des probabilités. Mais si le clinamen est livré au hasard, la comète par exemple peut dévier et heurter la terre. Sans doute, dans l’hypothèse du hasard absolu, toute organisation d’action est impossible. Mais cet argument de fait, très écossais, est le seul : je le trouve d’ailleurs excellent.

M. Darbon. — Nous ne pouvons, en effet, penser en faisant abstraction de nous-mêmes. Mais il y a une induction idéale garantissant la certitude : elle consiste à faire toutes les hypothèses possibles pour n’en conserver qu’une seule.

M. Lalande. — Je vous poserai encore deux questions. Vous dites que la raison est quelque chose de progressif : pourriez-vous caractériser ce développement de la raison ? — De plus vous avez opposé subjectif et objectif : il y a une réalité et la science s’en approche. Y a-t-il donc un autre mode de connaissance que la science avec lequel celle-ci puisse être confrontée ?

M. Darbon. — Je crois que la véritable réalité est la pensée claire.

M. Lalande. – Alors, la véritable réalité c’est le résultat de la science.

M. Darbon. — La science est la connaissance intellectuelle, et à côté d’elle il y a la connaissance confuse, sensible,










empirique leur accord constittre la vérité. M. Lalande. – Que devient le réelî Est-ce la pensée claire ou la pensée confuse ? Le Spinozisme n’est pas d’accord avec vos prémisses. Identifier le réel à la pensée claire et faire de l’accord de la science avec le réel la condition de ta vérité, c’est une tautologie. M. Darbou. – II y aura science du réel, quand il aura accord avec certains faits. M. Lalande. Alors dire que la pensée claire s’appuie sur la pensée confuse, c’est dire qu’elle n’est pas elle-même le réel si elles sont au fond identiques, leur accord est toujours réalisé. M. Darbon dans une réponse inspirée de Hamelin, explique que la pensée confuse enveloppe la dialectique tout entière des notions. M. Lalande. Le sensible est donc en un sens plus "réel, en un sens moins réel, que la science vous dissociez l’idée de réalité et vous jouez, semble-l-il, sur ces deux sens. M., Perrin. Votre— point de vue est tout à fait conforme a celui des savants actuels. De plus en plus nous sommes persuadés de, la complexité des choses, de l’impossibilité de nous contenter dans nos explications d’un seul type de notions. Vous savez qu’aux vitesses très grandes la notion de masse se dissocie, vous connaissez les recherches sur la structure discontinue de la matière. De plus en plus nous sommes obligés d’être piura-