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175 p., Paris, Henry Paulin, 1909. — Ce sont de courts sommaires de morale (la sociologie n’y tient aucune place), suivis de brèves lectures choisies en toutes sortes d’auteurs. Ce travail méritoire et consciencieux semble l’œuvre d’un professeur que ses études n’auraient nullement préparé à traiter de telles questions et qui aurait dû, pour donner l’enseignement moral prévu par les programmes actuels pour le premier cycle, se procurer ou improviser un petit système de morale. Par là s’expliqueraient bien des singularités de ce petit livre. — D’abord le choix des lectures, qui ne sont jamais empruntées à des philosophes, mais aux journaux ou aux politiciens, au Petit Parisien ou à M. Jaurès. M. Leroy est persuadé que l’opinion anonyme du Petit Journal ou de La Vraie mode, ou encore les arrêts tranchants de M. Victor Margueritte, constituent, « à l’appui d’une thèse, des opinions bien plus précieuses, bien plus convaincantes surtout, que ne sauraient être, dans l’espèce, les témoignages si souvent invoqués de Xénophon et de Platon ». — Quant à la doctrine, les principales thèses en sont sans doute défendables, puisqu’elles sont soutenues par d’assez bons philosophes. Mais, présentées ici comme simples indications, elles semblent bien fragiles ou bien incohérentes. Pour fonder sa morale, l’auteur fait appel tour à tour à l’intérêt commun, que les lois morales ont pour fonction de sauvegarder ; à la solidarité, entendue confusément comme la dépendance naturelle des hommes et aussi comme un contrat tacite associant les hommes « pour les mêmes dangers, les mêmes avantages, les mêmes joies » (p. 40) ; et enfin à l’idée du droit qui, selon M. Leroy, se dégage des relations de solidarité, mais qui, au fond, selon l’auteur lui-même, s’y oppose, puisque c’est, à l’encontre de toutes les dépendances réelles, la conception par l’individu « d’une liberté idéale au service de ses légitimes désirs » (p. 67). Comment accorder tout cela ? — Signalons enfin parmi les assertions de détail dont M. Leroy n’a peut-être pas toujours mesuré la portée, cette thèse dangereuse que les vérités démontrées peuvent être imposées aux consciences dont la liberté ne subsisterait qu’à l’égard des croyances hypothétiques (p. 102). Mais quelle tyrannie a jamais prétendu imposer par la force autre chose que des vérités démontrées ?

La femme et son pouvoir, par Mme Anna Lampérière ; 1 vol. in-16, de 308 p., Paris, Giard et Brière, 1909. — L’idée directrice de ce petit livre, c’est que « la nature » interdit à la femme l’activité productrice et lui impose le devoir d’organiser la consommation : l’homme acquiert, la femme dépense. Il est anormal et funeste que les femmes fassent concurrence aux hommes dans les carrières industrielles. L’homme est « créé de destination pour l’effort physique » ; il est « injuste qu’une femme prenne une peine quand un homme peut la lui éviter ». Loin de multiplier les carrières ouvertes aux femmes, il faudrait charger les hommes du blanchissage (p. 279), de la couture, du repassage, etc. (p. 50), de tous les métiers qui exigent un effort. Aux femmes serait réservée une triple tâche : élever les enfants, utiliser les ressources créées par les hommes, embellir leur vie. Non seulement les femmes mariées, mais les femmes isolées joueraient ce triple rôle d’éducatrices, d’économistes et d’esthéticiennes. Elles seraient nourrices sèches, bonnes d’enfants, institutrices et professeurs, infirmières et médecins, mais elles entreraient, en outre, dans des carrières encore à créer, où elles détermineraient les besoins de la consommation et les moyens d’y satisfaire, où elles « indiqueraient » aux architectes, aux fabricants de meubles, aux artistes, aux couturiers et aux parfumeurs les exigences de leur goût. Une éducation spéciale, toute différente de celle qui actuellement fait des femmes des « simili-hommes », leur enseignerait les notions strictement indispensables à leur mission sociale : pas de sciences théoriques, pas de travaux de laboratoire ; la femme n’a pas à chercher des vérités nouvelles, mais simplement à utiliser, pour l’aménagement et l’embellissement de la société, les vérités découvertes par les hommes. La valeur économique de son rôle ainsi défini est d’ailleurs considérable aux yeux de Mme Lampérière : outre qu’elle donne naissance à des travailleurs, la femme augmente la puissance de travail de l’homme et le pouvoir d’achat de son salaire. Elle est donc son égale.

Les idées défendues par Mme Lampérière nous paraissent assez contestables. En fait, il est inexact que la femme soit « normalement » réduite à dépenser sans produire. Le portrait que nous trace Mme Lampérière de la femme primitive, inspiratrice des dessins préhistoriques, et « dispensatrice des réserves ou des provisions de la caverne », est un peu fantaisiste. En grande majorité, les femmes de tous les temps se sont livrées à des tâches productives ; la situation que Mme Lampérière juge normale, c’est la