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tente une sorte de rajeunissement du Thomisme, par l’application des thèses de l’École aux problèmes que saint Thomas ne se posait pas, ne pouvait pas se poser. Ce n’est pas à nous de juger si cette application ne tend pas à fausser la philosophie traditionnelle en en élargissant indûment le champ, ou même à en faire clairement apparaître l’insuffisance à l’égard des problèmes nouveaux, et si ce n’est pas une tentative un peu vaine que de vouloir faire sortir du thomisme ce qui n’y est pas contenu.

Quand nous aurons dit que la méthode de discussion de M. Dehove (instances, réponses, nouvelles instances) est un peu sèche et scolastique, que ses continuels retours sur lui-même et les continuelles restrictions dont il équilibre sa pensée gênent un peu le lecteur, tout en mettant en évidence la belle virtuosité dialectique de l’auteur, nous aurons fait toutes les réserves qu’il convenait de faire. Et nous pourrons louer l’écrivain pour son exposé complet, clair et même élégant de la doctrine thomiste de la connaissance, pour les textes utiles qu’il a réunis, pour ses ingénieuses discussions, et pour l’utile bibliographie scolastique qu’il a établie au début de l’ouvrage. Nous le louerons surtout pour sa netteté et sa franchise, et pour le zèle qu’il a mis à pénétrer dans la pensée de Kant, encore qu’il n’y ait pas parfaitement réussi, parce que, citant toujours les auteurs de l’École, il a négligé d’appeler à son secours les interprètes autorisés de la pensée kantienne comme Vaihinger, Cohen, Vorländer, etc. Nous le louerons de s’être rendu un compte exact des difficultés que le criticisme oppose à la pensée thomiste, et de ne pas s’être contenté de ces objections traditionnelles que ressassent les « manuels et les cours classiques » (p. 6). Il y a d’autant plus de mérite qu’il reconnaît lui-même que les néoscolastiques ont bien de la peine à entrer dans l’idée de Kant : sur ce point, il est d’accord avec M. Fonsegrive, et nous sommes bien loin de révoquer en doute ce double témoignage.

Les Névroses, par M. le Dr  Pierre Janet ; 1 vol. in-12 de 397 p., Paris, Flammarion, 1909, — M. Janet présente au grand public, en un résumé d’ensemble, les résultats de ses recherches bien connues sur l’hystérie et la psychasthénie. Nous n’avons pas ici à insister sur la valeur clinique et l’importance médicale de ces travaux. Nous voudrions seulement marquer l’intérêt qu’ils présentent pour le psychologue. On connaissait déjà la conception de l’hystérie caractérisée par le « rétrécissement du champ de la conscience et par la tendance à la dissociation des systèmes d’idées ou de fonctions dont l’ensemble constitue la personnalité ; on connaissait aussi ce syndrome psychasthénique que M. Janet présente comme une nouvelle entité morbide, dont le principal caractère serait la diminution ou l’altération de la « fonction du réel ». Ce que l’auteur apporte ici de nouveau, c’est d’abord une comparaison établie point par point entre ces deux névroses, comparaison pleine de vues et de rapprochements suggestifs : c’est ainsi que pour M. Janet — et il insistait encore sur ce point dans une séance récente de la Société de psychologie — l’exagération et la suppression d’une fonction sont au même titre des manifestations d’un abaissement du niveau mental. On rangera donc dans la même catégorie les agitations motrices et les paralysies, le bavardage et le mutisme peu s’en faut que, pour M. Janet, l’anémie et l’idée fixe ne soient deux symptômes du même ordre, on serait presque tenté de dire deux faces du même phénomène ; — d’autre part, ce sera le même état de dépression, mais plus accusé dans un cas, moins accentué dans l’autre, qui produira l’anémie des hystériques, et les doutes des psychasthéniques. Dans le même ordre d’idées, on rapprochera comme des manifestations, différentes sans doute par leur degré ou par leur nuance particulière, mais analogues au fond, d’un trouble d’une fonction psychique l’idée fixe et l’obsession, les agitations et les phobies, les anesthésies et les algies. — Ce sont là vues nouvelles parfois inattendues, dont plusieurs peut-être appelleraient la discussion, mais dont toutes la méritent. — Non moins intéressante est la définition, présente sans doute implicitement dans les précédents ouvrages de M. Janet, mais qu’il formule ici d’une façon plus nette, la définition des névroses comme des maladies de l’évolution des fonctions. Il faut, selon notre auteur, distinguer dans chaque fonction diverses parties hiérarchiquement superposées : dans la fonction de l’alimentation, par exemple, on trouvera une partie très ancienne, très facile, représentée par des organes bien définis et très spécialisés : la fonction des glandes digestives ; puis une partie moins ancienne, beaucoup plus compliqué : la fonction des organes de la préhension, et enfin une partie supérieure : celle qui consiste dans l’adaptation à la circonstance particulière, qui existe au moment présent, à l’ensemble des phénomènes extérieurs ou intérieurs dans lequel nous sommes placés à l’instant actuel ; la