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on affirmer à la fois que l’objectivation de la volonté est principe absolu de mal et que l’Idée, première « objectité » de cette volonté, peut devenir source de libération et de sérénité pour l’homme épris de beauté et d’art ? M. Rzewuski ne nous paraît pas tenir compte ici de la distinction si nettement établie par Schopenhauer entre les diverses voies de la libération. La première est l’ascétisme, c’est-à-dire la mortification réfléchie de la volonté, la seconde est l’expérience de la douleur ; la troisième est la libération par l’intuition de l’idée. Il est vrai que Schopenhauer ne rapproche pas celle-ci des précédentes, parce que la méthode en est radicalement différente. Ascétisme et expérience de la douleur aboutissent à la sérénité en exerçant sur la volonté même une sorte d’action de retrait ; elles suscitent le « renoncement » qui suppose que le vouloir-vivre s’est déjà exercé. Au contraire, la contemplation esthétique place le sujet à un point de vue antérieur au développement intégral du vouloir vivre, au point où la volonté s’est objectivée en idées et non encore en livres. L’art nous transpose en deçà de la limite à laquelle commence la douleur, et il n’y a pas contradiction à admettre à la fois ce mode de libération et le caractère absolument mauvais de la vie sensible.

Sur d’autres points encore, l’interprétation de M. Rzewuski prête à contestation. Comment, par exemple, peut-on objecter à la théorie de Schopenhauer que l’être ne saurait procéder du non-être ? La volonté est bien, au contraire, l’être même antérieur à toutes les déterminations qui le dispersent en poussière d’apparence.

Il ne faut donc chercher guère plus dans ce petit livre qu’une preuve — mais une preuve assez frappante — de l’impression profonde que peut encore exercer sur le grand public la lecture du Monde comme volonté et comme représentation.

Ueber das Sogenannte Erkenntniss problem, par Léonard Nelson ; 1 vol. in-4 de 427 p., Göttingen, Vandenhoeck et Ruprecht, 1908. — Cet ouvrage, qui fait partie des travaux de l’école de Fries, se donne comme le développement légitime de la méthode critique et se propose de démontrer l’impossibilité d’une théorie de la connaissance. Pour M. Nelson, la théorie de la connaissance n’a rien accompli ; et si elle a paru quelquefois atteindre à certains résultats, c’est par une dérogation inconsciente à ses principes, c’est en cessant d’être une théorie de la connaissance.

Qu’une semblable théorie soit d’ailleurs possible, c’est ce que nie M. Nelson : la tenter signifie que l’on doute de la valeur objective de la science, que son existence constitue un problème. Or une solution scientifique de ce problème est, affirme M. Nelson, impossible.

Le critérium capable de le résoudre sera en effet une connaissance, et devra à son tour être fondé, étant lui-même problématique ; ou bien il sera objet de connaissance ; mais à son tour la connaissance que nous en prendrons sollicitera l’emploi du critérium.

M. Nelson pense avoir donné en quelques mots — p. 32-34 — la preuve universelle de l’impossibilité de la théorie de la connaissance ; mais on peut se demander si la critique très formelle et verbale mise en œuvre ici atteint réellement son objet et si elle ne laisse pas échapper l’essentiel de ce qu’elle prétend combattre. M. Nelson n’en poursuit pas moins l’illustration de sa thèse première. Il examine successivement les divers critères proposés par les théoriciens de la connaissance ; cet examen polémique constitue la première partie de l’ouvrage.

Rien n’est plus monotone d’ailleurs que ce défilé de théories et que les procédés critiques employés contre elles. Nul souci ne s’y révèle de pénétrer dans la réalité essentielle des idées incriminées ; une série de discussions verbales, un examen superficiel des doctrines, des confusions de termes, une méthode étroite et sans variété. M. Nelson découvre avec une virtuosité parfaite et parfois déloyale les pétitions de principes, cercles vicieux, contradictions internes, régressions à l’infini, etc. – tout cela mis au service d’un parti-pris dogmatique qui n’est ni très original, ni très solide ; voilà à peu près ce que nous offre cette publication nouvelle de l’école de Fries.

M. Nelson s’attaque d’abord à Natorp et à la loi en tant que critère au point de vue d’une théorie de la connaissance. On ne saurait s’arrêter ici au détail d’une polémique assez fastidieuse. Il faut noter cependant que M. Nelson, tout attaché à une manière de réalisme simpliste et à une interprétation perpétuelle du langage critique en termes psychologiques, moins soucieux d’ailleurs de comprendre que de réfuter, commet sur le concept et le jugement certaines confusions funestes au succès de son entreprise (p. 52). Visiblement, M. Nelson ne cherche point à entrer dans la pensée de M. Natorp ; et l’attitude du critique fait penser à ce que dit d’Aristote M. Natorp lui-même dans son Plato’s Ideenlehre.