Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1908.djvu/5

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

procédés sont ceux-là mêmes dont le sens commun se sert inconsciemment. Il y a continuité absolue entre les deux ordres de connaissance ; « le sens commun n’est qu’un système scientifique et métaphysique se transformant sous l’influence de la science, avec beaucoup plus de lenteur pourtant que les théories scientifiques proprement dites » (p. 351). Ainsi le principe de causalité est, dans la science, le facteur explicatif, et le principe de l’explication est la réduction progressive à l’identité. De lui dérivent les théories atomiques, pierres angulaires de l’édifice scientifique. Dans la partie « légale » de la science, il intervient également en créant les principes de conservation, conservation, de la masse, conservation de l’énergie, en poussant à l’élimination du temps et en conduisant finalement au postulat de l’unité de la matière, c’est-à-dire à la suppression de toutes différences qualitatives à l’exclusion de la seule spatialité. Le principe de causalité remplace l’univers du sens commun par un univers mécanique et géométrique. « Le mécanisme et son aboutissement ultime, la réduction de la réalité au néant, font partie intégrante de la science » (p. 325). Mais « la réalité résiste », et c’est cette réaction qu’exprime le principe de Carnot. D’ailleurs, on est d’accord aujourd’hui pour reconnaître le caractère illusoire de toute tentative de déduction de la nature à partir de principes mécaniques. La science est bien « une rationalisation progressive du réel » ; mais le rêve de déduction totale des Descartes, des Leibnitz et des Hegel n’est qu’un rêve. Les principes du mécanisme, causalité et conservation, s’appliquent à une réalité plastique, qui possède sans doute en son tréfonds des accointances mystérieuses avec la tendance primordiale de notre entendement, mais qui en est cependant tout à fait indépendante. C’est pourquoi tandis que la légalité est la condition sine qua non de la science, la concordance avec les hypothèses causales n’est jamais que partielle. Sans doute, la science tend véritablement à réduire tous les phénomènes à un mécanisme ou un atomisme universels, « non parce que l’atomisme constitue l’essence des choses, mais parce qu’il est l’image satisfaisant le mieux notre tendance à l’identité ». En fait, « la science reste toujours séparée par une distance infinie de la conception mécanique vers laquelle elle paraît tendre » (p. 378). Le mécanisme n’est pas dans la science un but, mais un moyen, que nous trouvons à notre disposition dans notre intellect et dont nous ne pouvons nous dispenser de nous servir.

Légalité et identité, telles sont en définitive les deux principes directeurs de la connaissance, fonctionnant distinctement depuis l’aurore de la connaissance vulgaire, mais enchevêtrant sans cesse leur action (p. 403).

Quelques réserves que puissent appeler, de la part de tel ou tel lecteur, certaines des conclusions auxquelles l’ouvrage aboutit, il importe de rendre hommage à l’effort très personnel qu’il dénote, et au sentiment exact qu’il exprime des difficultés de ce genre de questions. L’auteur, nourri aux meilleures sources de la philosophie scientifique actuelle, aborde les problèmes avec une documentation consciencieuse et sans parti pris dogmatique. Le livre de M. Meyerson se classera, nous n’en doutons pas, parmi les plus considérables travaux d’épistémologie de ces dernières années.

Science et conscience, Philosophie du XXe siècle, par Félix Le Dantec, chargé de cours à la Sorbonne. 1 vol. in-12 de 328 p., Paris, Flammarion, 1908. — Nous lisons dans la dédicace : « Encore un volume de biologie générale, mon cher ami ; rassurez-vous, ce sera le dernier. Le moment est venu pour moi de rentrer au laboratoire et de reprendre pied dans la réalité en m’appliquant à des études de détail. » Ce dix-septième volume de M. Le Dantec nous est donc présenté comme la conclusion de sa philosophie biologique, philosophie qui satisfait son propre auteur au point de provoquer des exclamations du genre de celle-ci : « Comment ne pas se sentir pris de vertige quand on emploie, dans sa généralité prodigieuse, le langage de l’équilibre ? Il comprend tout, il raconte tout !… À quoi bon désormais batailler contre les vieilles doctrines ? Elles s’évanouissent sans résistance, et, nous qui les combattions, nous éprouvons un grand trouble de ce qu’elles se sont évanouies trop complètement… Notre victoire nous effraie. » Ce début fait prévoir que les vieilles doctrines vont passer un mauvais quart d’heure. Et en effet l’ouvrage commence par un dialogue où M. Mesure, partisan de l’épiphénoménisme, confond M. Vieilhomme, partisan de l’efficacité de la conscience, malgré l’érudition de celui-ci qui a étudié la philosophie dans le manuel de M. Boirac (p. 20). Je note toutefois une objection assez habile de M. Vieilhomme quand M. Mesure affirme que tout se passerait de même si la conscience n’avait jamais existé : il demande si des hommes privés de toute conscience, de toute sensibilité, auraient