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Christ. Suivant la qualité de la pensée qui s’y attache — et il s’agit moins ici de l’intelligence de l’individu que du progrès critique accompli à travers les siècles — le dogme de la résurrection oriente l’esprit dans deux directions divergentes. La première, invinciblement appuyée aux représentations morcelées du sens commun comme aux préjugés réalistes de la philosophie traditionnelle, confond la résurrection du corps avec la réanimation du cadavre : elle heurte non seulement la vérité historique, telle que la dégage une exégèse conforme aux exigences de la méthode scientifique, mais aussi cette implication de mystère et de transcendance qui est l’âme du christianisme. La seconde, soupçonnée déjà par les mystiques, éclairée par la philosophie nouvelle dont M. Bergson a été l’initiateur, considère l’avènement du corps glorieux comme indissolublement lié à l’Eucharistie et à l’Église. « C’est à la lettre que le Christ nous a tous incorporés : nous sommes devenus ses membres et il est devenu notre vie. Par l’incarnation, il est pris dans l’engrenage cosmique passif de la création tout entière. Par la résurrection, libératrice en nous qui sommes entés sur lui, il nous fait cohéritiers de sa gloire, participants de sa plénitude… Il agit visiblement par l’Église qui est à la lettre son corps (Coloss., I, 18, 24) et dont la vie et l’histoire sont ses gestes parmi nous. Et il agit mystérieusement par l’Eucharistie, qui le fait revivre ici-bas en nous, nos corps devenant en toute vérité son corps et notre action son action. Encore une fois, je le répète, l’interprétation mystique de la résurrection est la seule véritable et complète, et c’est littéralement qu’il faut la prendre, non par simple manière de symbole et de métaphore. »

Un philosophe qui ne veut être que philosophe se sent assurément peu qualifié pour porter un jugement sur l’œuvre de M Le Roy : car M. Le Roy laisse en dehors du débat la question philosophique qui la domine : il se borne à chercher la meilleure interprétation possible des dogmes préalablement posés, sans se demander s’il y a lieu de poser des dogmes. Il écrit, par exemple, dans sa lettre à la Revue lyonnaise Demain : « La religion de l’esprit ? Oui, sans doute, mais si l’on ne veut pas se contenter de mots et de rêves, elle n’existe que par l’insertion dans une société effective et dans une tradition durable ». Mais comment concevoir cette nécessité de réincarner l’esprit dans ce qui est, de toute évidence, la négation de l’esprit ? et comment la concevoir surtout dans une doctrine qui rejette explicitement d’une part la psychologie des facultés sans laquelle il n’y a jamais eu et jamais il n’y aura de philosophie pragmatiste, d’autre part la suprématie du langage sans laquelle il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais eu de religion révélée. — Cette réserve faite, il nous reste à dire à quel point il est impossible de lire le livre sans être entraîné dans le courant de sentiment qui jaillît, avec une générosité et une richesse inépuisables, de la conscience profonde de l’auteur. Nul spectacle plus héroïque et plus émouvant que celui d’une haute intelligence qui se place directement en face des problèmes accumulés et obscurcis par les siècles, qui veut sans une équivoque et sans un sous-entendu penser sa foi de catholique, — plus émouvant encore si l’on songe la situation de l’Eglise française, livrée désormais à ses seules ressources, hésitant encore entre l’appui extérieur que certaines puissances politiques ou économiques lui garantissent pour un temps, et la chance de renouvellement que lui offre la hardiesse d’une pensée librement exprimée.

Morale et Société, par G. Fonsegrive. 1 vol. in-12 de 344 p., Paris, Blond et Cie, 1907. — Un vif désir de la paix sociale anime ce nouveau livre de M. Fonsegrive. Il lui a paru que les déchirements les plus douloureux de notre société viennent de ce que l’on confond trop facilement deux éléments ou deux aspects bien différents de la vie humaine, le moral et le social. La plupart des philosophes et des politiques, — ou même le vulgaire, — s’efforcent de les unir et de les faire se pénétrer, alors qu’il faudrait au contraire s’appliquer à les séparer. On ferait bien de revenir au conseil évangélique : Rendez à César… Mais pour cela, il faut comprendre — et c’est ce que ce livre a pour objet d’expliquer, — que César et Dieu ne nous demandent pas les mêmes choses parce qu’ils ne se proposent pas les mêmes fins. La société a sa fin qui est le maintien de la cohésion sociale et de l’ordre extérieur par une réglementation qui ne peut être qu’universelle et qui doit prendre, pour ainsi dire, la moyenne des intérêts et des aspirations des individus. La conscience a sa fin qui est pour chacun de nous la réalisation la plus complète de sa vie dans les conditions que lui font son caractère et sa situation : d’où il suit que ses prescriptions sont tout individuelles et ne peuvent avoir pour principe que les jugements singuliers que chacun de nous porte à chaque instant sur les relations des choses ou des êtres à sa propre fin. C’est pourquoi ce sont choses bien différentes que la loi morale