Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1907.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

posaient en trois moments, et Renouvier (Logique, III, début) explique très bien que l’opposition de la thèse et de l’antithèse est une opposition non de contradiction, mais de corrélation. J’ai cru avec cette idée avoir mon principe moteur : il fallait remplacer la contradiction hégélienne par la corrélation. Ce principe, ne pouvait-on l’employer à enchaîner les différentes catégories entre elles ? J’étais en possession du principe de l’Essai que j’allais tenter.

M. Boutroux rend hommage à cette thèse qui est l’œuvre de toute une vie de méditation et mériterait elle-même d’être longuement méditée ; il s’excuse d’être obligé, par ses fonctions, de prendre l’attitude d’un critique.

Votre livre est d’une lecture un peu aride ; mais votre style a sa beauté ; — (et à titre d’exemple, M. Boutroux lit une belle page philosophique de l’ouvrage) — je compte vous présenter quelques observations au sujet de votre interprétation des doctrines qui vous ont précédé. Vous n’avez pas parlé des anciens, et c’est déjà dans Héraclite que nous trouvons la première idée de votre méthode synthétique. Je ne parle pas de Platon, où Hegel avait puisé ses principes. Vous n’avez pas été tout à fait juste envers Descartes qu’Hegel, lui, a reconnu pour un de ses prédécesseurs. Hegel a insisté sur le caractère synthétique du « Cogito, ergo sum ». Vous présentez la liaison comme analytique.

M. Hamelin. J’ai été dominé par un souvenir des Regulæ, où il est dit : qu’une liaison nécessaire a lieu, quand une idée est contenue dans une autre idée. Je dois avouer d’ailleurs que le terme « contenu » est un mot vague.

M. Boutroux Les Regulæ sont elles-mêmes une logique de la conjunctio. Je pense personnellement que Descartes emploie la méthode synthétique, qu’il a mis au premier plan la méthode d’invention, pour laquelle il faut non seulement le syllogisme et l’analyse, mais encore l’intuition.

M. Hamelin. L’intuition ? En quel sens ?

M. Boutroux. L’intuition qui est une action de l’esprit, mais que Descartes n’avait pas suffisamment éclaircie.

Je ne m’arrêterai pas à Leibniz qui pratique une méthode de thèse, d’antithèse et de synthèse. — Pour Kant, la forme est une unification, un mode d’unification. Les catégories sont des actions de l’esprit. Pour la méthode par thèse, antithèse et synthèse, Kant l’a parfaitement indiquée, à propos de la Logique transcendantale, dans une note fameuse de la Critique du jugement. — Pour Fichte, l’unité est en avant : l’unité est une Aufgabe. Elle n’est en arrière qu’en un autre sens. — Pour Hegel la détermination n’est pas négative en votre sens ; elle n’appauvrit pas l’être. La pensée, Hegel l’appelle die Bestimmtheit des Menschen. Est-ce dire que la pensée soit un appauvrissement ? Hegel va dans le sens de la détermination, non de l’indéterminé.

M. Hamelin. C’est ce qu’il a voulu faire.

M. Boutroux. C’est ce qu’il a fait. La preuve en est dans le sens de l’influence exercée par la philosophie hégélienne. Le fait d’un historien allemand récent qui s’appuie sur Hegel pour déifier l’État comme étant ce qui est le plus déterminé, l’Humanité étant quelque chose d’indéterminé, est significatif. L’Hégélianisme va au concret.

Je passe à la méthode considérée en elle-même.

Votre méthode n’est pas celle de Hegel. Chez Hegel, l’être se détermine de plus en plus pour lever les contradictions qui se manifestent dans sa vie. L’être vit. Tout développement de l’être manifeste fait sortir de son sein les contradictions. Le principe de contradiction est souverain chez Hegel : c’est en vertu de ce principe que les contradictions qui se manifestent dans l’Être ne peuvent pas subsister. Elles sont condamnées à disparaître. Chez vous, le principe de contradiction ne joue aucun rôle c’est la corrélation qui remplace la contradiction. En substituant ainsi à l’opposition de contradiction l’opposition de contrariété et la corrélation, vous différenciez nettement votre méthode de la méthode hégélienne. La méthode de Hegel est objective il s’agit du développement de l’Être, de la vie de l’Être. Votre méthode, se fondant sur la corrélation, est une méthode subjective.

Mais cette substitution de la corrélation à la contradiction soulève de graves difficultés. Comment déterminer la corrélation ? Sur quel principe s’appuyer pour déterminer que deux concepts sont corrélatifs l’un de l’autre ? Et puis, qu’est-ce que la conciliation ? Chez Hegel, on le conçoit. C’est par l’esprit que la conciliation s’opère. L’esprit supprime, il conserve, il élève. Voilà les trois moments de la conciliation. Mais, chez vous, on ne voit pas bien ce qu’est la conciliation. Peut-être n’avez-vous pas mis assez de soin à déterminer votre méthode de conciliation.

M. Hamelin. C’est que je l’ai trouvée définie assez nettement par Kant et Renouvier. Ces idées ne m’ont pas paru obscures.

M. Boutroux. Je me suis demandé si