Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1907.djvu/20

Cette page n’a pas encore été corrigée

Thèse complémentaire : Traduction et commentaire du livre II de la Physique d’Aristote.

M. Croiset, président du jury, invite le candidat à exposer les principes et la méthode qui l’ont guidé dans ce travail.

M. Hamelin. Cette petite thèse est un fragment d’une édition de la Physique d’Aristote. Il n’y a pas d’éditions savantes de cet ouvrage. En France, on trouve des traductions latines trop littérales et souvent peu intelligibles, et une traduction française dont il vaut mieux ne pas parler. L’Allemagne possède l’édition de Prantl : mais le style en est très obscur, et l’édition reste assez difficile à utiliser.

Voici les principes qui m’ont guidé pour l’établissement du texte. Le profit à tirer des philologues modernes est assez faible : leurs corrections doivent être critiquées de très près, et, en règle générale, il faut être très conservateur. — Pour les commentateurs anciens, je les ai dépouillés de près : la préférence doit être donnée au texte d’Aristote transmis par eux, soit dans les lemnata (indication du commencement et de la fin d’un paragraphe), — soit dans les citations de ces commentateurs au cours du commentaire, — et aux leçons que l’on peut inférer de la paraphrase même qu’ils font du texte. Pour la Physique en particulier, nous possédons un fragment d’une lettre de Théophraste à Eudème, qui décide du texte d’un passage d’Aristote. Dans l’École issue d’Aristote, il y avait un texte officiel des œuvres du maître, et les commentateurs l’ont connu.

Pour la méthode de traduction, je me suis attaché à rendre le sens d’Aristote avec le plus d’exactitude et de précision possible : j’ai voulu une traduction qui pût servir de dictionnaire perpétuel pour lire Aristote. Aussi ne me suis-je pas interdit des paraphrases, quand elles étaient nécessaires pour rendre la pensée de l’auteur plus intelligible.

Pour le commentaire, j’en indique les trois sources : les études modernes, — les autres ouvrages d’Aristote, — les commentateurs grecs. J’ai laissé de côté les commentateurs du moyen âge et de la Renaissance, qui n’ont, je crois, apporté aucun éclaircissement nouveau, pour l’interprétation d’Aristote, mais ne se sont pas fait faute d’y introduire des erreurs. Les commentateurs anciens sont particulièrement précieux, parce qu’ils disposaient d’une tradition ininterrompue. C’étaient des professeurs à la fois érudits et intelligents. Thémistius donne une paraphrase claire et juste. Simplicius, interprète très subtil, philosophe lui-même, – peut-être un peu trop alexandrin dans son commentaire, — est merveilleusement intelligent. Philoppon est moins inintelligent qu’on veut bien le dire : sans doute sa prolixité est grande ; mais il connaissait très bien, ses prédécesseurs et par là il nous est très utile.

M. Croiset. Je suis d’accord avec vous sur les principes qui vous ont guidé dans votre travail. Je pense qu’il faut être conservateur, c’est-à-dire infiniment prudent. Nous avons vu sévir dans la philologie moderne une mode de corrections ingénieuses, terrible pour l’établissement des textes. J’ai lu votre travail avec une admiration profonde pour votre conscience et vos connaissances. J’ai trouvé là cette précision minutieuse et rigoureuse, fondée sur une connaissance égale et du grec et de la philosophie, qui met le lecteur en toute sécurité. Votre traduction me paraît parfois obscure : je crois mieux entendre la langue d’Aristote. Mais la faute n’en est pas à vous : elle tient à l’impossibilité même pour la pensée antique de se mouler complètement dans les formes de nos langues modernes. Votre traduction est plus complète que l’original : le livre d’Aristote n’était pas fait pour une publication. Ce sont des notes de cours, et il y a des mots isolés. Vous rétablissez les intermédiaires, et ce que vous ajoutez obscurcit parfois la clarté du texte même.

Vous rencontrez dans votre auteur la distinction de τύχη et de αὐτόματον et vous traduisez ces deux termes par les mots « fortune » et « hasard. » La distinction n’est pas rigoureuse entre les deux termes, et, en grec comme en français, on peut souvent employer l’un pour l’autre. Mais le mot « hasard » ne me satisfait pas. L’αὐτόματον, c’est proprement le spontané apparent dans les choses qui n’ont pas de volonté. Le mot de hasard n’éveille rien de semblable dans mon esprit. Ce sens de αὐτόματον est très ancien le mot a déjà cette acception dans l’expression homérique πύλαι αὐτόματια, et le sens primitif s’est continué jusqu’à Aristote. Sans doute, Aristote s’explique à lui-même par une étymologie erronée le sens d’αὐτόματον ; mais, alors même qu’il ne s’en rend pas compte, la tradition agit sur lui inconsciemment, et il emploie le terme avec la nuance qui lui est propre dans la langue. Or cette nuance disparaît dans la traduction française, avec le mot « hasard ». « Sans doute, vous n’y pouviez rien, puisqu’il n’y a pas d’équivalent français de αὐτόματον. Mais il n’en résulte, pas moins inévitablement, une certaine obscurité