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jet avec nos déterminations subjectives. — Il semble bien que M. Jacoby ait trop perdu de vue la position propre à la Critique du Jugement pour que la justesse du parallèle qu’il institue entre Herder et Kant n’en souffre pas. Quoi qu’il en soit son livre demeure une très utile contribution à l’étude d’un philosophe qui, pour n’avoir pas eu la fortune historique de quelques grands Kantiens, n’en garde pas moins au milieu une place honorable d’eux.

Die Moralphilosophie von Tetens, par Max Schinz, 1 vol. in-8 de 155 p., Leipzig, Teubner, 1907. — Bonne étude sur une question très peu étudiée de l’histoire de la philosophie. Le grand ouvrage de Tetens, Philosophische Versuche über die menschliche Natur und ihre Entwickelung (1777), sans contenir un système de morale proprement dit, dessine néanmoins les grandes lignes d’une éthique que l’auteur n’a jamais achevée et qui n’a point attiré l’attention, perdue dans le succès croissant du Kantisme. Les idées morales de Tetens, comme sa théorie de la connaissance, sont une synthèse de Leibniz et de Hume.

Structure and Growth of the Mind, par W. Mitchell, professeur de philosophie à l’Université d’Adélaïde, examinateur à l’Université d’Edimbourg, 1 vol. in-8 de 512 p., Londres, Macmillan, 1907. – C’est un manuel à l’usage des étudiants et aussi du grand public qu’a prétendu écrire M. Mitchell. Mais c’est un manuel fort original. D’abord, par la façon même dont il est conçu. Pour M. Mitchell, on ne peut que regretter le divorce qui s’est produit au dernier siècle entre psychologie et philosophie. En effet, la psychologie est la véritable introduction à la philosophie : mais c’est à la condition que dans la psychologie elle-même, on n’introduise point de divisions trop nettes entre les grands problèmes. Ici, en effet, la division du travail, loin d’être un progrès, conduit à l’anarchie : « La psychologie n’est pas une science spéciale, mais une véritable encyclopédie » (no longer a study but a cyclopaedia). Ce doit être si l’on veut la philosophie de l’esprit — nous dirions mieux : la philosophie de l’ « expérience ». Est-il besoin de dire, après cela, que l’auteur se défie, par-dessus tout, de l’analyse qui prétend épuiser sa matière et reconstituer le tout à l’aide des éléments ? Aussi procède-t-il d’une manière essentiellement synthétique. Vous chercheriez en vain dans ce livre destiné à nous montrer la « structure de l’esprit » des chapitres intitulés : mémoire, raisonnement, sentiment, volonté, habitude. On y étudie – en bloc — l’ « expérience », l’Intelligence « sympathique » et « esthétique », puis l’intelligence sensorielle, perceptuelle, conceptuelle. Encore l’auteur ne fait-il ces divisions qu’à regret. Entre les diverses formes de l’intelligence, il y a tous les degrés, et par exemple, l’intelligence « conceptuelle » n’est qu’une explicitation de certaines données déjà contenues implicitement dans la perception.

Le même esprit de synthèse et de systématisation se retrouve dans les solutions que M. Mitchell apporte aux grands problèmes de la réalité, des rapports de l’âme et du corps, ou de la vérité. Il fait une sévère critique du parallélisme qu’il rejette absolument. C’est une erreur de parler du mental et du physique comme coordonnés. L’esprit et l’expérience sont des réalités sensibles (presentables to sense), tout comme le cerveau et ses modifications. À ce point de vue, l’esprit et l’expérience ne sont pas parallèles au monde matériel, mais font partie de ce monde ; et d’un autre côté, les faits physiques — y compris le cerveau en tant que phénomène — ne sont pas parallèles aux autres phénomènes mentaux, mais font partie du monde de l’esprit (p. 23). Aussi M. Mitchell propose — et ce serait là, croyons-nous, une heureuse réforme — de remplacer en psychologie le mot de conscience — trop souvent sujet à confusion, à cause de son sens abstrait — par le mot d’expérience : dans l’expérience, contenant et contenu ne se séparent pas. L’existence se définira essentiellement par la relation, et la relation seule. Une chose physique n’est rien en elle-même abstraction faite de ses rapports avec les autres objets. De même, l’esprit n’existe pas à part, en dehors de ses actes.

La vérité, comme la réalité, sera fondée sur la systématisation. Le critère des vérités particulières, c’est leur ensemble, c’est leur hiérarchie (p. 333). Et si nous voulons aller plus loin, justifier le système lui-même, il nous faudra faire appel au principe d’utilité. Toute connaissance est orientée vers l’action. Toute connaissance est prophétique (p. 230). Un finalisme orienté vers l’action, telle serait, je crois la définition que M. Mitchell accepterait volontiers, et le génie même se définira encore en termes de finalité, par une « intelligent self-direction ».

On ne saurait demander à un manuel d’être absolument original. De fait, les lecteurs de M. William James et ceux de M. Bergson reconnaîtront dans ce livre bien des idées qui ne leur sont pas totalement inconnues. On pourrait faire à M. Mitchell un plus grave reproche. C’est