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De même, d’excellentes analyses nous font assister au développement mental qui se fait jour dans l’expression des proportions, depuis le moment par exemple où l’enfant se donne tout au détail et est incapable de le situer dans un ensemble, jusqu’à celui où il domine un ensemble dont il est capable de subordonner et de hiérarchiser les parties ; dans la représentation de la perspective, dans la conquête progressive de l’espace à trois dimensions. Le rapport du dessin et des autres aptitudes mentales ; le rôle du dessin dans la vie de l’enfant ; la pathologie du dessin sont soigneusement étudiés.

Transformisme et Créationisme. Contribution à l’histoire du transformisme depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, par J.-L. de Lanessan. 1 vol., in-8, de 349 p., Paris, Alcan, 1914. — S’il est vrai que le transformisme ne s’est constitué à la fois comme doctrine complexe et comme hypothèse féconde qu’après la publication de l’ « Origine des Espèces », le livre de M. de Lanessan n’est plus que la trop longue préface de l’étude, que nous annonce d’ailleurs l’auteur, sur le transformisme depuis Darwin : préface bien décevante et dont la composition même étonne le lecteur. L’œuvre de Lamarck n’est abordée qu’à la page 250. Moins de quarante pages sont consacrées à celle de Darwin, tandis que le tiers du livre est réservé à Buffon : il suffit que Buffon, de qui M. de Lanessan édita les œuvres complètes, fasse une rapide allusion à l’influence du climat, de la nourriture, du milieu, ou qu’il se taise à propos de Dieu et de la Bible, pour que M. de Lanessan, ennemi des prêtres et des spiritualistes, lui décerne l’épithète de « transformiste ». Darwin, au contraire, tout aussi bien que Lamarck, ménage Dieu ; tous deux reculent devant le matérialisme purement et strictement mécaniste que M. de Lanessan admire dans toute sa splendeur chez le seul Diderot ; ils expient ce compromis avec le « créationisme » en se voyant retirer, au profit de Buffon, l’originalité et la profondeur de leurs théories. Tous les auteurs, depuis le clergé chaldéen jusqu’à Darwin, sont ainsi soumis a l’impitoyable critique de M. de Lanessan ; ont-ils dit quelque part que tout se transforme, que tout est matériel, que l’âme n’existe pas, que les animaux sont des machines, qu’il faut faire des dissections, que les fossiles ne datent pas du Déluge, que le récit de la Genèse n’est pas vrai, que les émotions se lient à la vie organique, que l’homme est un animal ? une seule de ces déclarations en fait des transformistes — et ainsi Epicure, Aristote, les Chaldéens, Démocrite, Descartes, Servet, Galilée, Képler, Platon, sont transformistes ; ils ne le sont pas toujours complètement, puisqu’on cesse d’être transformiste, d’après l’étrange conception de M. de Lanessan, dès qu’on ne croit pas la matière éternelle, dès qu’on doute que la vie soit un mouvement, dès qu’on réserve les questions d’origine, dès qu’on croit à une psychologie indépendante ou à une morale autre que la « morale naturelle » du même auteur. Nous en avons assez dit pour montrer que ce livre repose sur la confusion du réalisme matérialiste (tel qu’il nous semblait que personne n’osait plus le soutenir, et qui nous paraît plus vieux et plus vain que ces « métaphysiques » que M. de Lanessan repousse) avec la théorie transformiste authentique, qui est la position méthodique d’une continuité entre les anciennes « espèces » de Linné et de Cuvier, et qui n’implique même pas l’affirmation de l’unité de la matière et de la vie. On ne se comprend pas soi-même quand on baptise du nom de transformisme la théorie cartésienne des passions, ou les analogies, les « corrélations de formes » aperçues par Aristote et tant de fois signalées par des « créationistes ». Reconnaissons d’ailleurs que ce livre vaut par les citations célèbres qui y sont accumulées, et qui nous rappellent qu’Aristote, Empédocle, Buffon, Maupertuis ont fait des remarques géniales sur le monde de la vie, que Descartes fut un admirable psychologue et Lamarck un grand moraliste ; mais tout cela n’a rien ou presque rien de commun avec le transformisme. Quand enfin il en est directement question, le matérialisme et, disons le mot, l’anticléricalisme de l’auteur lui font oublier les vrais problèmes. Il ne s’aperçoit même pas des difficultés considérables que soulève la biologie psychologique de Lamarck (qu’est-ce que le besoin ? l’habitude ? l’adaptation ?). Il oublie, dans sa revue des systèmes, à la fois de grandes philosophies (Malebranche, qui fournissait une forte interprétation de l’emboîtement des germes ; Spinoza ; Leibniz dont le monadisme contient pourtant l’image éternelle d’une certaine biologie ; Kant et tous les Naturphilosophen) et de grandes écoles scientifiques comme l’école vitaliste de Montpellier et, à l’exception de Cabanis, les savants français du début du xixe siècle.

Le Système du Monde des Chaldéens à Newton, par Jules Sageret. 1 vol. in-16, de 280 p., 1913, Paris, Alcan.