Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 3, 1914.djvu/5

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fidèles : beaucoup de rites, par coïncidence, semblent produire leur effet : les idées religieuses agissent par suggestion sur le corps et l’esprit des fidèles. Elle leur procure aussi des avantages inattendus : les idées d’esprits et de dieux ont une valeur dynamique ; les dieux incorporent les idéaux de la communauté.

3° La spécificité de la religion ne vient pas de ce qu’elle répond à des besoins spéciaux de l’âme humaine ; mais de ce qu’elle répond par des moyens spéciaux a des besoins que la science par exemple et la magie s’appliquent également à satisfaire. Il y a en définitive trois types de conduite : le type mécanique ou scientifique : le type coercitif ou magique ; le type anthropopathique ou religieux. À la différence de la science et de la magie, la religion établit des relations spirituelles entre l’homme et la nature.

4° L’idée d’êtres personnels invisibles a des origines multiples. Le tort de tous ceux qui en ont traité est d’avoir voulu l’expliquer par une seule origine (ainsi Tylor, Spencer, Max Müller, etc.). Ces origines peuvent se grouper sous deux grandes classes : le besoin de rendre compte de phénomènes observés (apparitions, mort apparente, divination, prémonition, phénomènes moteurs et sensoriels de l’hystérie, personnification de phénomènes naturels, problème de la création) ; les besoins du cœur et de la conscience morale. Ces moyens peuvent avoir opéré simultanément ou successivement ; on ne saurait définir l’ordre de leur apparition ; du reste il a dû y avoir interaction entre les dieux de différente origine ; et c’est seulement lorsque les êtres invisibles sont devenus des facteurs importants dans la lutte pour la vie qu’ils ont acquis la sympathie de dieux réels ; un dieu est un être spirituel, c’est-à-dire accessible à des influences psychiques, personnel, de pouvoir surhumain, c’est-à-dire qui peut procurer à ses fidèles les choses qu’il leur est difficile de se procurer eux-mêmes.

5° Si la foi religieuse repose en grande partie sur l’expérience intérieure, cette expérience elle-même relève de la psychologie. Les théologiens qui prétendent échapper à la critique scientifique ou métaphysique par ce subterfuge de l’expérience intérieure tombent sous les coups de la critique psychologique. Le seul Dieu qui échappe à la psychologie est le Dieu cosmologique, qui relève du reste de la critique philosophique. Ainsi de toute manière la religion n’échappe pas au contrôle de la raison.

Ce livre renferme encore beaucoup d’autres doctrines intéressantes, relatives par exemple à l’avenir de la religion ou bien à la relation de la magie et de la religion ou bien à l’origine de la magie. Citons, pour terminer, un effort très pénétrant pour expliquer psychologiquement la magie. Sans rejeter les principes dégagés par Frazer, l’auteur fait une part considérable au mécanisme même du désir. Dans les états d’excitation, l’énergie se dépense spontanément. S’il y a coïncidence entre cette action toute spontanée et un résultat heureux, l’individu accomplit intentionnellement l’action d’abord fortuite ; par exemple les femmes de certaines peuplades sauvages dansent pendant que leurs maris sont à la guerre. La danse est d’abord l’expression spontanée de l’excitation. Il s’établit après coup une connexion entre la danse et le succès à la guerre ; la danse devient une pratique magique.

Le Langage Graphique de l’Enfant, par Georges Rouma, 2e éd. 1 vol., gr. in-8, de 279 p., Paris, Alcan, 1913. — Important ouvrage, basé sur de nombreuses observations personnelles et sur toute la littérature antérieure. Les problèmes relatifs au dessin chez les enfants sont traités dans leur ensemble et l’auteur expose un grand nombre de vues ingénieuses et exactes. Une importante bibliographie ajoute à l’utilité de l’ouvrage.

L’auteur étudie d’abord les méthodes d’étude du dessin libre des enfants (méthode de collectionnement ; méthode des enquêtes ; méthode biographique ; méthode d’observation directe) ; puis les stades d’évolution du dessin. Après la période de gribouillage, où l’enfant trace des traits incohérents, sans intention précise et seulement pour imiter celui qui dessine, il parvient à représenter d’une façon plus ou moins complète des objets définis. Quatre tendances principales se font jour au cours de cette évolution : 1° la tendance indicative : les traits ont une valeur indicative ; l’enfant ne cherche qu’à désigner, qu’à spécifier un objet ; son croquis a les caractères d’une définition ; 2° la tendance descriptive : l’enfant cherche à exprimer la complexité visuelle de l’objet ; 3° la tendance narrative : le dessin est complété par un récit ; il n’est qu’un moment d’un ensemble psychologique plus vaste, quelque chose comme un épisode illustré ; l’importance de l’épisode, l’illustration de l’histoire varient du reste suivant l’âge de l’enfant ; 4° la tendance au conventionnalisme : les types adoptés se fixent, s’abrègent ; le dessin retourne au langage d’où il est sorti.