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peut pas à vrai dire, afin de prouver cette insuffisance, définir au préalable le changement ; nous ne pourrons jamais définir que le changement accompli, le changement qui ne change plus. La pensée ne peut pas servir a décrire le changement, mais seulement à diriger notre attention vers certaines expériences, vers une connaissance plus directe que la perception même ; car, dans la perception, les sensations et l’attention divisent le changement, et rendent ainsi nécessaire et possible la construction mathématique.

Miss Costelloe passe ensuite à la théorie de la durée. Le changement n’est pas seulement un processus ; il est une création ; nous avons une expérience immédiate de ce caractère de création, comme du caractère de « processus » ; et comme le précédent, ce caractère est indéfinissable ; nous ne pouvons décrire que du créé.

Dans la mémoire, nous sentons à la fois ces deux caractères. Il n’y a aucune confusion, dans la théorie bergsonienne de la mémoire, entre le souvenir en tant qu’objet, et l’acte du souvenir ; car il n’est pas ici question d’idées conscientes ; et il ne peut donc être question d’une confusion entre le passé comme objet et notre idée présente du passé ; ni l’un ni l’autre n’existent ici. — Miss Costelloe accorde seulement que la définition bergsonienne du passé comme étant ce qui n’agit plus, est insuffisante.

La dernière partie de la réponse de Miss Costelloe ne parait pas aussi forte. Elle confond, semble-t-il, deux sens du mot : image ; quand M. Bergson parle d’ « une certaine image intermédiaire entre la simplicité de l’intuition concrète et la complexité des intuitions qui la traduisent », il ne s’agit nullement de l’image dont il est question dans Matière et Mémoire ; dans l’image de Matière et Mémoire, il y a réellement, semble-t-il, identification du sujet et de l’objet (identification voulue, sans doute et non pas inconsciente, comme semble le penser M. Russell).

Miss Costelloe insiste avec raison dans sa conclusion sur ce point qu’on ne peut pas légitimement accuser M. Bergson de mépriser la contemplation et la spéculation ; s’il nous demande de faire l’effort que réclame l’intuition, ce n’est pas parce qu’il méprise la spéculation pure, mais au contraire parce qu’il la met à si haut prix.

Bergson and Romantic Evolutionism, by Lovejoy. Two lectures delivered before the Philosophical Union, of the University of California. 1 broch. de 61 p., University of California Press, Berkeley, 1914. — M. Lovejoy remarque au début de ses conférences que les Données Immédiates parurent l’année où se fonda, sous l’impulsion de Howison son maître, la Philosophical Union devant laquelle il parle. Howison essayait de créer une théorie de la durée réelle des choses et de la personnalité libre. « Le petit livre français, d’autre part, contenait la doctrine qui devait retenir l’attention de l’humanité d’une façon plus générale que n’importe quel autre enseignement philosophique », depuis peut-être un demi-siècle. « Il est certain, dit-il, que beaucoup d’esprits sont en train de trouver une inspiration religieuse et un afflux nouveau d’énergie morale, grâce à l’évolutionisme radical de Bergson, que l’Évolution Créatrice produit une disposition sérieuse, ardente, et pleine d’une haute espérance.

Retenons de sa première conférence cette idée : de l’évolutionisme déterministe est née en Angleterre une certaine mélancolie pessimiste que l’on trouve chez Tennyson comme chez James Thomson. Mais il existe, dit M. Lovejoy, un évolutionisme plus ancien qui est anti-mécanistique. C’est celui des Naturphilosophen, de Schelling, de Schopenhauer. Dans la deuxième conférence, M. Lovejoy étudie les théories de Ravaisson. Il note que chez Bergson l’évolutionisme radical se trouve à un état beaucoup plus pur que chez aucun de ses prédécesseurs. À cette conception s’étaient en effet mêlés auparavant les idées platoniciennes, le noumène kantien, ou un volontarisme pessimiste. Le succès du darwinisme, l’habitude de penser en termes d’évolution a rendu possible un évolutionisme nouveau.

M. Lovejoy veut donc attirer l’attention de ses auditeurs sur l’évolutionisme radical ou le temporalisme de M. Bergson. « C’est cette conception qui a séduit la plupart des lecteurs de Bergson qui sont venus à lui en partant des sciences ; elle constitue sa signification réelle aux yeux de beaucoup qui sympathisent peu avec son anti-intellectualisme romantique. Elle touche d’une part à la science et d’autre part à la philosophie de la religion. La partie la plus nouvelle et la plus importante, au point de vue de l’influence des ouvrages de M. Bergson, se trouve certainement dans la conception de l’évolution créatrice. » On peut se demander, malgré M. Lovejoy, si, la conception de la durée est plus romantique que la conception de la vie, si les Données Immédiates ne pénètrent pas, en des