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n’étant que de préparer l’action, tel est le sens de la philosophie de Forberg, conforme aux idées de M. Werschsky et interprétant exactement la philosophie de Kant. — Pour M. Werschky, en effet, Kant, après avoir abandonné cette attitude dans la doctrine des postulats, y serait revenu dans les derniers écrits, en particulier dans la Tugendlehre et les œuvres posthumes publiées par Reicke. Le desaveu qu’il faisait en 1797 de la Wissenschaftslehre en serait une autre preuve ; car Fichte, posant le sujet absolu à l’origine du système du savoir, reviendrait à la métaphysique du transcendant. Après Schulze, qui signale dans son Enésidème l’opposition entre les conclusions des deux critiques, Forberg au contraire reprend l’attitude de la dialectique transcendantale et restreinte à une simple idée — au sens de celle-ci — la personnalité intelligible : le sujet doit agir comme s’il était une personne intelligible, mais ne peut s’affirmer comme tel au point de vue théorique. La croyance ne conduit nullement à une conclusion théorique mais à une attitude pratique, à une résolution (p. 57). Le criticisme aboutit à un volontarisme qui exclut tout élément de transcendance. — L’interprétation de M. Werschky appelle des restrictions. Son but semble avoir été de trouver, dans le Kantisme interprété à l’aide de Forberg, des antécédents à sa propre philosophie de l’action : or la légitimité de celle-ci n’est pas en doute, mais son rapport avec la pensée véritable de Kant l’est davantage. A-t-on résumé exactement et complètement celle-ci en disant (p. 60) que « l’homme, non plus metaphysiquement mais pratiquement autonome, doit de lui-même, en conformité avec sa propre nature, produire la réponse aux grandes questions personnelles qui se posent à lui » ? L’idée du sujet autonome est évidemment fondamentale dans le Kantisme, mais il reste à l’interpréter. Or peut-on avec quelque fidélité historique comprendre le Kantisme en un sens aussi strictement humain, et en somme pragmatiste ? Si on le fait, il faut écarter systématiquement les Postulats de la doctrine, leur refuser même une signification.

Aussi M. Werschsky est-il forcé d’admettre avec Reinhold que Kant, après une première esquisse de la Philosophie des Als Ob dans la Raison pure où les idées sont considérées comme des « fictions heuristiques », l’abandonne en 1788 pour la reprendre et la préciser dans la Tugendlhere en 1797. Or, dans le passage cité, la religion apparaît, il est vrai, comme l’ensemble des devoirs considérés comme des commandements de Dieu sans que l’existence réelle de celui-ci soit posée par là : mais l’affirmation de Dieu à titre de postulat subsiste sans qu’on en puisse faire abstraction, car elle se justifie par le rapport nécessaire de la moralité et du bonheur : affirmation d’ailleurs qui n’est pas le résultat d’une connaissance mais d’une croyance indispensable à la raison pratique. — De plus le pragmatisme de M. Werschsky ne comporte pas l’opposition métaphysique du sujet et de la chose en soi : ce n’est pas qu’il accepte la solution idéaliste de l’école de Marbourg qui ramène l’intuition à un mode de la pensée, les jugements synthétiques a priori à des jugements analytiques ; mais pour lui les hypothèses sur les rapports du sujet et de l’objet n’ont qu’une valeur symbolique, exprimée par la formule rectificative : comme si. Il n’y a donc pas à découvrir une solution de ce problème : la vie la donne et assure par elle-même l’union de l’en soi au phénomène (p. 79).

Une telle philosophie de l’action est assez éloignée du primat de la raison pratique et ne garde de la pensée kantienne qu’une formule incomplète. Elle écarte aussi bien rapidement l’interprétation de Fichte pour qui la raison était la fonction qui pose les Aufgaben et, sans les résoudre jamais définitivement, trouve dans l’activité pratique des solutions de plus en plus approchées. Il ne suffit pas de dire que le moi pur est une notion métaphysique pour s’en débarrasser. En réalité l’effort moral par lequel le sujet, d’après Fichte, cherche à dominer un non moi dont l’existence consiste tout entière en cette opposition au moi, répond sans doute mieux à l’esprit du moralisme kantien qu’une philosophie de la vie où l’importance de l’action est plus nette que le sens qu’il faut lui donner.

The Philosophy of Bergson, by the Hon. Bertrand Russell. With a reply by Mr. H. Wildon Carr. And a rejoinder by Mr. Russell. 1 broch. in-8 de 36 p., London, Macmillan, 1914. — An answer to Mr. Bertrand Russell’s Article on the Philosophy of Bergson, by Karin Costelloe. The Monist. Numéro de janvier, 1914. — Nous avons rendu compte dans un supplément de la Revue (sept. 1913, p. 32, compte-rendu du Monist) des critiques adressées par M. Russell à M. Bergson. L’article du Monist était une reproduction d’une conférence faite devant le cercle des Heretics. Dans la même séance de ce cercle, M. Wildon Carr tenta de répondre aux critiques de M. Russell, et