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sens, sans lesquels elle mourrait de faim, et de la volonté, sans laquelle, trop souvent, elle serait incapable de se fixer.

La Conscience Collective et la Morale, par Arthur Bauer. 1 vol. in-16 de 160 p., Paris, Alcan, 1912. — Ce petit livre risque fort de n’éveiller, dans l’esprit du lecteur, ni objections, ni réflexions bien sérieuses ; avant de lui accorder le mérite de la sincérité et de la simplicité, il faut d’abord se résigner à n’y trouver aucune idée fortement et laborieusement méditée. Avec une réserve et une modération bien remarquables, M. Bauer a su du même coup éviter, à peu près constamment, l’erreur et la vérité. — Non pas qu’il ne s’exprime souvent avec une certaine chaleur de conviction, et qu’il ne prenne assez nettement position sur la plupart des problèmes. Mais, si sensée et si sympathique qu’elle puisse être, une attitude n’est pas encore une pensée.

Et d’abord ne cherchons pas dans cet ouvrage une étude précise de la conscience collective et de ses rapports avec la vie morale : c’est, sous un titre un peu décevant, tout l’ensemble des problèmes moraux et pédagogiques que M. Bauer ose aborder et qu’il résout sommairement, non sans effleurer par la même occasion la plupart des doctrines classiques (généralement mal rapportées : cf. sur Épicure p. 24 ; sur Rousseau, p. 109).

Dans un premier chapitre, il s’applique à définir la Morale qu’il considère, d’un point de vue assez vaguement positiviste, comme une science, en grande partie pratique, et même comme une technique ayant pour objet la transformation de la nature humaine ; cette technique conditionnant toutes les autres et jouant par rapport à elles un rôle directeur essentiel, la souveraineté de la Morale se trouve aisément établie. Pour déterminer la nature de la fin morale, c’est-à-dire du souverain bien, M. Bauer prétend recourir à l’observation et à l’expérience, non pas à l’expérience individuelle forcément subjective, mais à l’expérience collective de l’humanité, qui a peu à peu dégagé les vrais principes de conduite, et défini le vrai bien.

La conscience collective, selon M. Bauer, c’est donc en un sens la conscience morale commune du kantisme ou plutôt la raison impersonnelle de l’éclectisme cousinien ; mais c’est aussi l’opinion de chaque groupe qui exige le respect de certaines règles socialement utiles et qui requiert l’adaptation de l’individu à sa fonction. Sans paraître s’apercevoir de cette dualité, et sans se livrer à aucune critique véritable, M. Bauer croit pouvoir formuler, en termes très vagues, l’idéal que de tous temps la conscience collective (pourtant progressive) présente à l’individu : à savoir, « la formation d’une personnalité stable, cohérente, qui se subordonne les ébauches de personnalités opposées, qui s’adapte à la fonction et au rôle social ; qui s’appuie sur les qualités naturelles sans s’y asservir, etc. » (p. 66).

La poursuite de ce bien se trouve d’ailleurs, non pas entravée, mais conditionnée par l’existence d’autres personnalités : de là le devoir, fondé sur le respect d’autrui. M. Bauer s’attache une fois de plus à classer rapidement les principaux devoirs humains sans sortir le plus souvent des exemples et des généralités accoutumées (à noter cependant quelques remarques assez fines sur la Sincérité, p. 74 et suiv.).

Enfin, pour devenir capable de réaliser le bien, il faut toute une éducation progressive dont M. Bauer ne fait qu’esquisser les grands traits. Il y a là, sur l’utilisation positive de la prière, sur l’usage de la confiance et de la défiance de soi, de la pitié, de l’orgueil…, des ébauches d’idées qu’il eût été intéressant d’approfondir. Mais M. Bauer semble se complaire à s’arrêter à mi-chemin : le seul avantage que son livre y gagne, est de pouvoir être lu, comme il a dû être composé, sans effort. C’est en somme une dissertation morale assez bien faite : l’Institut l’a couronnée.

L’Intuition Bergsonienne, par J. Segond, 1 vol. in-16 de 157 p., Paris, Alcan, 1912. — La doctrine de Bergson, au cours de son développement dialectique, fait apparaître une série d’antithèses entre des termes contradictoires, qui semblent d’abord irréductibles : opposition de la qualité a la quantité, de la durée à l’espace, de la vie à la matière, de l’esprit au corps, de la contingence à la nécessité, de l’art à la science, de l’individu à la société, de la pensée au langage, de l’intuition à l’entendement, de la connaissance pure à l’action, enfin de la métaphysique à la science. Or cette doctrine est un monisme de l’intuition et de la spiritualité. Les oppositions intérieures qu’elle recèle doivent donc pouvoir se résoudre en une unité supérieure, faute de quoi sa cohérence, faite d’un analgame de termes contradictoires, serait purement extérieure et n’aurait aucune signification de vérité profonde. M. J. Segond s’attache à montrer que la réduction de ces antithèses apparentes est possible ; que l’on trouve « dans l’intuition sincère un principe de conciliation