– 27 – M. Gilson. Ce travail est sorti d’un mémoire antérieur. J’avais étudié les rapports de Descartes et de la philosophie scolastique, et jeté quelques coups de sonde, cherchant à savoir si, sur certains points, Descartes n’en avait pas subi t’influence. Je fus frappé par l’importance de l’influence scolastique sur la doctrine cartésienne de la liberté influence de Duns Scot pour la conception de la liberté divine. – de saint Thomas pour celle de la liberté humaine. La doctrine de Velectio transposée par Descartes devient la théorie du jugement. D’autres doctrines cartésiennes me parurent très voisines de certaines théories scolastiques la doctrine du mal, négation, privation; la doctrine de la substance le rapport de l’àme et du corps. Sur tous ces points, Descartes paraissait avoir subi l’influence de saint Thomas. Mais, à ce point de vue, je n’avais pas de résultats décisifs; et je fus convaincu qu’il avait fait des emprunts i d’autres théories différentes. Il me fallait, en reprenant ce sujet, le restreindre je le limitai à la doctrine de la liberté. La quatrième méditation est toute théologique. De l’avis de Hamelin, elle ne contient rien d’original, soit sur la liberté divine, soit sur la liberté humaine. Elle dérive de toutes les sources théologiques possibles. J’avais, en outre, des idées préconçues sur l’ensemble de la philosophie cartésienne. Descartes, après avoir été regardé comme métaphysicien, avait été considéré, surtout d’après ses successeurs, comme physicien. C’est de la physique que sort la métaphysique la métaphysique cartésienne aurait été conditionnée dans son contenu par l’ensemble des théories physiques de Descartes. C’est avec ces deux idées que j’abordai la lecture des scolastiques. J’étudiai d’abort Duns Scot. On avait affirmé son influence sur Descartes. mais c’est qu’on le voyait à travers Descartes. En réalité, il n’y a pas entre Duns Scot et saint Thomas l’opposition très nette que l’on a voulu établir. Chez le premier, il n’y a pas création des vérités éternelles. Il faut abandonner l’idée de l’influence directe d’un Duns Scot imaginaire sur Descartes, et revenir à celle de la doctrine thomiste développée par Suarez. Descartes s’en est servi comme repoussoir. 11 distingue la volonté et l’entendement en Dieu pour rétablir la distinction entre les causes finales et les causes efficientes. Si l’on admet que les vérités éternelles s’imposent à l’entendement de Dieu, et si nous les comprenons dans notre entendement, nous comprenons dans une certaine mesure l’infini et Dieu lui-même. Nous serons jetés dans la recherche de l’Infini. Cela est de grande conséquence. Dans la physique cartésienne, on ne peut pas opérer sur l’idée d’Infini. Descartes rejoindrait-il sur ce point le courant augustinien, que représentaient le cardinal de Bérulle et le père Gibieuf de l’Oratoire? Gibieuf, théologien catholique orthodoxe, qui n’avait pas de raisons physiques d’écarter les causes finales, les rejetait pourtant. Cela est anormal. N’y a-t-il pas autre chose qu’une concomitance accidentelle? L’influence de Bérulle et de Gibieuf sur Descartes est possible. Gibieuf a promis de revoir les Méditations. Descartes aurait eu des lors des prédécesseurs dans les pères de l’Oratoire, tout pénétrés de la pensée néoplatonicienne. Un Dieu sans division ne ’pouvait se proposer des lins, mode d’action éminemment humain. L’infini et Dieu ne peuvent se comprendre comme un homme. Il y aurait donc eu adaptation de la théologie de l’Oratoire à la physique cartésienne des causes efficientes. Or, la théorie scolastique comportait deux doctrines incompatibles avec la physique de Descartes et avec sa métaphysique. Nous allons examiner les idées sur lesquelles repose la conception de la liberté humaine dans Descartes et ensuite comment il l’a envisagée. Les expressions dont se sert Descartes rappellent souvent le père Gibieuf, souvent aussi saint Thomas. 11 y a une extension de la conception thomiste du péché au problème cartésien de l’Erreur. Ce n’est pas un rapprochement fortuit. Descartes dit de l’erreur ce que saint Thomas a dit du péché. Quant à la doctrine de la liberté, elle se rattache aux mêmes sources. Descartes parait avoir subi T’influence de Gibieuf, qui s’est engagé dans le thomisme contre Molina. Gibieuf a critiqué la liberté d’indiil’érence et Descartes a repris ce point de vue. D’ailleurs cette critique de la liberté d’indifférence disparait dans les Principes. Elle est comme rétractée. Pourquoi cette atténuation? Un peut en trouver la raison dans le désir de voir les Jésuites adopter la doctrine et l’enseigner dans leurs collèges Descartes a eu une politique complexe. Tour à tour il s’est rapproché des Jésuites contre la Sorbonne, tandis qu’il a fondé l’espoir de les voir accepter sa doctrine, puis s’est détourné d’eux et rapproché de la Sorbonne. On s’explique qu’il ait voulu retirer des Principes ce