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analyses que contient le livre de M. Boutroux, mais chacune de ces analyses est accompagnée de réflexions critiques, qui, sous une forme discrète mais substantielle et qui demandera au lecteur un vigoureux effort de méditation, met en lumière les difficultés subsistantes et dénonce l’instabilité de l’équilibre établi d’un point de vue trop étroit, trop unilatéral, entre la science et la religion. Nous ne pouvons ici qu’indiquer d’un mot le leit-motiv de ces critiques. Aux doctrines naturalistes, qui seraient disposées à renfermer la religion dans les bornes de l’humanité considérée comme fait donné, M. Boutroux reproche de faire abstraction du fait proprement humain, c’est-à-dire de l’effort de l’homme pour se dépasser lui-même. Aux doctrines dites spiritualistes, qui s’imaginent sauver la religion en opposant les inspirations des sentiments et les actes de foi aux lois rigoureuses de l’activité intellectuelle, M. Boutroux reproche de compromettre la fécondité de la vie intérieure et de se perdre dans un subjectivisme abstrait et vide : « L’action, pour l’action, par l’action, la pratique pure, engendrant peut-être des concepts, mais indépendante elle-même de tout concept, ce pragmatisme abstrait mérite-t-il encore le nom de religion ? » Cette double série de critiques permet au lecteur d’entendre les larges et profondes conclusions de M. Boutroux. Le système de la cloison étanche, si fort à la mode au xixe siècle, n’est plus de mise aujourd’hui : ce n’est pas telle partie de l’enseignement religieux qui est en conflit avec telle découverte particulière de la science, c’est l’esprit scientifique qui est en conflit avec l’esprit religieux. L’originalité de M. Boutroux est d’avoir considéré le conflit de ces deux tendances comme une condition nécessaire, perpétuelle, de leur développement réciproque. Science et religion sont deux puissances qui tendent à persévérer dans l’être ; par leur opposition mutuelle, elles prennent conscience de leur spécificité propre, en même temps qu’elles sont amenées à se séparer de leurs additions artificielles, de leurs parties caduques, et s’assouplissent pour vivre d’une vie plus haute et plus féconde. À ce titre la religion, prise dans son intégrité avec ses dogmes et rites, comme avec ses principes essentiels et simples qui sont les postulats de la morale et de la vie, est une condition fondamentale de l’harmonie universelle : par elle, le principe de la tolérance, notion mal venue, expression d’une condescendance dédaigneuse, refus mental de ce qu’on semble accorder, se transforme en amour : plus audacieuse que la philosophie, la religion fait de l’amour un devoir, le devoir intellectuel qui ne s’adresse qu’à l’unité rationnelle ; il s’attache aux formes les plus diverses de la vie et de la personnalité morale en raison de leur diversité même : « Considérez, disait le cordonnier Jacob Bœhme dans une phrase qui semble exprimer l’inspiration maîtresse de M. Boutroux, les oiseaux de ces forêts : ils louent Dieu chacun à sa manière sur tous les tons et dans tous les modes. Voyons-nous que Dieu s’offense de cette diversité et fasse taire les voix discordantes ? Toutes les formes de l’être sont chères à l’être infini. »

Nous ne saurions, en terminant, énumérer seulement les problèmes sur lesquels ce beau livre arrêtera la pensée du lecteur ; nous en signalerons un, qui dépasse les limites de la génération à laquelle nous appartenons, mais qui nous semble le problème essentiel posé par la conclusion de M. Boutroux : la vitalité de la puissance religieuse est-elle de même ordre que la vitalité de la puissance scientifique ? Les sciences sont données au philosophe : mais, en dehors de cette intuition intellectuelle, de ce sens de l’unité universelle, qui, avec un Spinoza ou, pour prendre l’auteur favori de M. Boutroux, avec un Gœthe, a renouvelé dans les temps modernes l’inspiration de la vie spirituelle, l’esprit religieux a-t-il conservé de nos jours un élan de vitalité et une promesse de fécondité, et le pragmatisme ne s’est-il débarrassé de l’intellectualité que pour se tourner plus commodément vers l’image stérile du passé ? Répondre d’une façon trop affirmative à la question serait sans doute trahir nos partis pris personnels ; nous avouons que les critiques adressées par M. Boutroux aux représentants de la tendance spiritualiste nous rassurent médiocrement à cet égard.

Leçons de philosophie, t. II, Morale, Logique, Métaphysique, par P. Malapert, 1 vol. in-8 de 592 p., Paris, Juven, 1908. — On retrouve naturellement dans le second volume de ce solide ouvrage les remarquables qualités d’exposition qui ont valu au premier volume un si favorable accueil. Les méthodes des sciences, les questions de morale appliquée, les diverses doctrines métaphysiques y sont présentées et examinées avec une sûreté de méthode et une netteté d’expression qui feront de cet ouvrage un très utile instrument de travail pour les étudiants.

Toutefois cette seconde partie des