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Cependant, ne vous êtes-vous pas un peu trop hâté ? J’ai remarqué à la lecture de votre ouvrage, ici, des traductions fort imparfaites du texte de Fechner ; là, quelques erreurs et, en particulier, celle d’avoir attribué à l’éditeur de Fechner l’appréciation ironique d’un directeur de revue ; plus loin, p. 137, un manque de précision dans la pensée. Mais je ne veux pas m’attarder à des critiques de détail.

Votre ouvrage se présente comme « L’esthétique expérimentale de Fechner », or il ne traite pas seulement de cette esthétique, mais de toute l’esthétique de Fechner et, qui plus est, des théories de ses successeurs.

M. Lalo. La thèse présentait par là un plus grand intérêt.

M. Lévy-Bruhl. Sans doute, mais il fallait alors l’intituler « Esthétique de l’école de Fechner ».

Quant à l’Esthétique même de Fechner votre travail est insuffisant. Vous avez trop considéré Fechner comme un polygraphe : vous auriez dû nous montrer le rapport qui existe entre son esthétique et le reste de son œuvre. Le principe de stabilité auquel vous venez de faire allusion n’est pas quelque chose d’aussi accidentel que vous le pensez.

M. Lalo. Ce n’est qu’une hypothèse présentée par Fechner.

M. Lévy-Bruhl. Elle n’a cependant pas le caractère d’extrême généralisation que vous lui attribuez.

Enfin j’aurais voulu que vous nous parliez des rapports de Fechner avec Herbart et surtout Lotze, d’autant plus que Fechner lui-même les cite constamment et discute leurs théories.

M. Basch. La théorie de l’association se trouve tout entière dans Lotze.

M. Lalo. À ce compte, j’aurais pu remonter jusqu’à Kant.

M. Séailles. Ce qui n’eût pas été si mal !

M. Lalo. Aristote…

M. Lévy-Bruhl. Vous exagérez.

M. Lalo. Si je ne me suis pas occupé des antécédents de la doctrine, c’est que j’étais beaucoup plus vivement intéressé par ses conséquences.

M. Lévy-Bruhl. Je conclus. Malgré son titre, votre ouvrage n’a pas un caractère bien historique. On sent qu’en écrivant ce travail d’histoire vous avez eu des préoccupations dogmatiques.

M. Lichtenberger. Je me bornerai à vous poser quelques questions. À la page 51, dans votre étude de la méthode de choix, vous indiquez l’effort de Fechner pour élargir cette méthode. Et sur l’exemple précis des deux Madones d’Holbein qui sont à Darmstadt et à Dresde, vous montrez qu’il admettait le procédé de statistique esthétique.

Je vous demande donc :

1o Si ce procédé est une application de l’esthétique expérimentale ?

2o Si cette application relève de l’esthétique expérimentale ou de l’esthétique sociologique ?

En outre, puisque quelques germanistes ont préconisé récemment la méthode statistique pour juger les œuvres littéraires, vous semble-t-il que cette méthode objective, appliquée à la littérature, soit comparable à celle de Fechner ? Si oui, n’auriez-vous pas dû la proposer comme un développement de celle-ci ?

M. Lalo. Les deux méthodes sont à peu près identiques. Elles ne se confondent cependant pas avec la méthode sociologique.

M. Lichtenberger. Vous auriez donc dû présenter la seconde comme un développement de la première.

M. Basch. Je me réjouis fort du choix de votre sujet. En France, nous ignorons à peu près complètement les théories des esthéticiens allemands, de Kant à Hegel et à partir de Hegel. Vous avez ouvert la voie, j’espère que vous continuerez d’y marcher.

Votre analyse est assez complète, votre critique me semble pénétrante et juste.

Je vous ferai observer cependant que plusieurs de vos traductions ne sont pas très heureuses, que dans votre bibliographie très copieuse — trop copieuse peut-être — manque un certain nombre d’articles et de livres très importants : ceux en particulier de l’article de Windelband (Ueber experimentale Aesthetik) ; les livres de Siebeck (Das Wesen der asthetischen Anschauung) et surtout les ouvrages si importants de Volkelt, de Dessoir, de Lipps.

M. Lalo. Le sujet précis que je m’étais proposé d’étudier ne m’a point paru réclamer la lecture de ces ouvrages.

M. Basch. Pardon ! Vous critiquez l’EÉcole de Fechner, il était nécessaire de prendre au moins connaissance des critiques analogues faites par les auteurs que je vous ai cités.

Je passe maintenant à quelques objections plus graves. Il y a une critique de certaines méthodes de fait que j’ai été étonné de ne pas rencontrer dans votre thèse. Fechner présente un objet à un individu et lui demande de répondre après trois secondes à la question suivante : Est-ce beau ou ne l’est-ce pas ? C’est aller contre ce fait que en art, comme en dévotion, nous sommes sujets à ce que les