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suivants tentent de résoudre. Cette conception donne aux exposés de Zeller une certaine monotonie. Cependant un art extrême pour simplifier les questions, distinguer l’essentiel de l’accessoire, un style clair et simple rendent ces exposés très attachants. La partie la plus importante de la Philosophie des Grecs est constituée par les notes étendues qui accompagnent l’exposé. Elles forment non seulement un recueil inestimable de textes bien classés, mais un ensemble de discussions critiques, d’une exactitude et d’une honnêteté admirables. L’Histoire de Zeller contient un assez grand nombre de vues contestables. Elle est inégale : les trois premiers volumes l’emportent certainement sur les volumes suivants. Mais l’ensemble est vraiment imposant par l’ampleur et la sûreté de l’information, la prudence des conclusions, la hauteur des vues. L’œuvre avait été entreprise à un moment où les recherches de détail n’étaient pas encore très nombreuses. Zeller dans ses éditions successives a remanié toutes les parties de son œuvre et, jusqu’à ces dernières années, il se tenait au courant, avec une attention et un scrupule admirables, de toutes les études nouvelles, maintenant ses vues contre les objections qu’elles avaient soulevées. Les revues critiques qu’il fît dans les premières années de l’Archiv für Geschichte der Philosophie sont des modèles de précision simple et de bon sens. Ses amis louaient l’agrément et la sûreté de son commerce, la noble simplicité de sa vie. Sa rigoureuse probité scientifique, son libéralisme, son opposition irréductible au formalisme prussien, la largeur de son esprit, faisaient de lui un des derniers survivants de la grande génération de savants qui fut la gloire de l’Allemagne, vers le milieu du xixe siècle, et que l’impérialisme étroit et dogmatique de beaucoup d’historiens contemporains ne peut faire oublier.

LIVRES NOUVEAUX

Science et Religion dans la philosophie contemporaine, par Émile Boutroux, membre de l’Institut, 1 vol. in-8 de 400 p. Flammarion. — La Bibliothèque de philosophie scientifique vient de s’enrichir d’un ouvrage magistral, où tous ceux qui ont le souvenir des leçons de M. Boutroux retrouveront vivantes leurs impressions de charme et d’admiration. Ces leçons, faites suivant la méthode de fidélité scrupuleuse et de concentration pénétrante qui caractérise l’historien de la philosophie, portent sur des doctrines contemporaines, et sur le problème central que notre civilisation agite, sur les rapports de la science et de la religion. Après avoir brièvement rappelé quelles furent les destinées respectives et les attitudes réciproques de la religion et de la science dans l’antiquité et dans les temps modernes, M. Boutroux analyse les tentatives qui furent faites pour relier les deux domaines du point de vue compréhensif de la philosophie. Deux courants se font jour, le courant naturaliste et le courant spiritualiste, et de là les deux parties de l’ouvrage de M. Boutroux. Dans la première, Auguste Comte et la religion de l’humanité, Herbert Spencer et l’inconnaissable, Hæckel et le monisme, les trois doctrines ont ce caractère commun de tendre à donner à la notion religieuse un contenu positif, ou, si l’on préfère, un substitut positif, mais en demeurant sur le plan de la science, en faisant de la religion l’aboutissant ou la synthèse des connaissances positives. Par là ces doctrines demeurent encore à certains égards des conceptions proprement religieuses, auxquelles s’opposent les formes récentes du naturalisme et qui sont strictement critiques : le psychologisme et le sociologisme résolvent la vie religieuse dans les lois générales de la vie psychique ou de la vie sociale, ils en expliquent la genèse et l’évolution des religions, à titre de faits humains, et sont indifférents à la justification de leur valeur et de leur vérité. Plus délicate était l’ordonnance de la seconde partie consacrée à la tendance spiritualiste ; car si le spiritualisme est ici interprété comme tendant à l’apologie de la croyance religieuse, encore faut-il distinguer dans ces croyances entre ce qui porte la marque de la spiritualité et ce qui n’est que la survivance d’habitudes individuelles ou collectives. M. Boutroux est parti du dualisme radical, professé sous des formes diverses par Albrecht Ritschl, par Wilhelm Herrman, par Auguste Sabatier, où la séparation est complète entre le domaine de la recherche intellectuelle et le domaine de la croyance sentimentale ; puis il montre comment le problème s’est transformé par la conception de plus en plus nette et de plus en plus accusée des limites et de la relativité de la science. La critique de la science prépare les voies à une philosophie de l’action qui a trouvé en France d’éminents interprètes, et à la doctrine de l’expérience religieuse. (La Revue de métaphysique a publié en janvier dernier le chapitre de M. Boutroux sur William James.)

Nous avons essayé de donner à nos lecteurs une idée de la richesse des