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sont très étroits. Il est intéressant de suivre, à travers les dialogues de Platon, le progrès de ses idées sur l’amour. Il est intéressant de voir comment cette théorie se complète ou se transforme du Lysis au Banquet et du Banquet au Phèdre. En second lieu, il est important de montrer quels sont les rapports de la dialectique et de l’amour. Peut-être arrivera-t-on ainsi à déterminer quel a été chez Platon le rôle du sentiment, et si la philosophie de Platon est un intellectualisme ou un mysticisme. Dans l’idée qu’il se fait d’Eros, entre-t-il des éléments extra-intellectuels, sentimentaux, mystiques ? C’est ce qu’il est important d’étudier. D’autant que du même coup on aura sans doute occasion de déterminer quel est le sens, quelle est la portée et quelle est la nature du mythe dans la philosophie platonicienne.

Mais s’il s’agit en premier lieu de suivre, à travers les dialogues de Platon, l’évolution de la théorie de l’Amour, c’est d’abord la question de l’ordre chronologique de ces dialogues qui se pose. On sait combien cette question est obscure, on sait aussi quelle est son importance. Les dialogues qui traitent de l’amour sont le Lysis, le Banquet et le Phèdre. Faut-il placer le Phèdre avant ou après le Banquet ? C’est une question essentielle, puisque la théorie de l’amour dans le Banquet n’est pas la même que dans le Phèdre. Et c’est une question dont on comprendra toute l’importance, si l’on remarque que, selon que le Banquet est postérieur au Phèdre, ou le Phèdre au Banquet, la théorie de l’Amour est chez Platon épisodique, et en quelque manière indépendante, ou au contraire elle est fondamentale et dépend étroitement des idées essentielles de la philosophie platonicienne. Or, il paraît certain que le Phèdre est postérieur au Banquet. Et j’en ai donné les raisons. J’ai signalé dans le Phèdre des renvois au Banquet et au Phédon. Il n’y a pas, dans le Banquet, des renvois au Phèdre. Mais, de plus, j’ai essayé d’établir que le Phèdre est postérieur non seulement au Banquet, mais encore à la République. Car on trouve, dans la République, la théorie du Phèdre à l’état d’ébauche. De plus, j’ai montré que le Phèdre est postérieur aux grands dialogues dialectiques (le Sophiste, etc.). On peut s’en convaincre si l’on veut bien remarquer que c’est dans le Phèdre que Platon a exposé sous sa forme la plus complète sa théorie de la dialectique. Et enfin, le Timée lui-même est antérieur au Phèdre. Car, dans le Timée, certains mystères (la chute de l’âme) restent en suspens, certaines solutions restent obscures. Et ces questions sont résolues, ces solutions sont éclaircies dans le Phèdre. Ainsi nous sommes conduits à placer le Phèdre tout près des Lois, à la fin de la vie philosophique de Platon. Ce qui revient à dire que la théorie de l’Amour n’est pas chez Platon un épisode, mais tient au fond même de sa pensée, et dépend étroitement de ses idées fondamentales. J’ai essayé de réfuter, dans ma thèse, toutes les objections qui ont été élevées contre l’antériorité du Banquet sur le Phèdre. Une seule est spécieuse : c’est celle qui s’appuie sur l’éloge d’Isocrate qu’on lit dans le Phèdre. Le Phèdre serait donc antérieur à la brouille de Platon et d’Isocrate, et par conséquent, antérieur au Banquet. L’argument porterait si cet éloge d’Isocrate n’était pas, comme j’ai essayé de le montrer, de pure ironie.

Après avoir ainsi restitué, à l’aide de la chronologie, à la théorie du Phèdre, sa véritable place dans la philosophie de Platon et sa véritable portée, j’ai essayé d’exposer dans le détail cette théorie, et de déterminer quels sont les principaux caractères de l’Amour platonicien. J’ai montré que, chez Platon, l’amour est une fonction essentielle de l’âme. Il est le moteur de l’intellect. C’est un principe de synthèse, de médiation entre le sensible et l’intelligible. C’est un médiateur et, comme dit Platon, un « δαίμων ». L’amour est donc chez Platon un principe intellectuel et la méthode de l’amour se rapproche beaucoup de la méthode de la dialectique. — L’amour est médiateur entre le sensible et l’intelligible. C’est-à-dire qu’il est, tout comme la dialectique, un moyen d’arriver aux Idées en partant de l’expérience. La méthode de l’amour est une dialectique empirique ascendante. — Tels sont, résumés très sommairement, les principaux caractères de l’Eros platonicien.

M. Croiset félicite M. Robin de son ingéniosité. Il loue la sûreté de ses connaissances philologiques et philosophiques, sa science de la langue grecque, son intelligence de la pensée platonicienne. Mais, il fait toutes réserves sur les arguments chronologiques qu’a employés M. Robin. D’ailleurs, d’une manière générale, il ne croit pas qu’il soit indispensable, pour comprendre la pensée de Platon, de connaître l’ordre’chronologique de ses dialogues. En tous cas, c’est impossible. Sans doute, on sait que le Lysis est un des premiers dialogues de Platon, et il est sûr que les Lois sont au terme de sa vie philosophique. Mais il est impossible d’aller plus loin. Aucune des méthodes