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l’action ne saurait se confondre ni avec le pragmatisme américain dont elle repousse les bases empiristes et utilitaires, ni avec l’intuitionisme bergsonien : car elle veut sinon aboutir du moins conduire à un système de croyances précises et déterminées, étendre le domaine de l’intelligible à cela même qui n’est pas intellectuel. La philosophie de l’action a l’immanence pour point de départ, en tant du moins que, par une curieuse interversion du sens étymologique, l’immanence s’entend des « vérités autonomes ou autochtones, c’est-à-dire celles qui ou bien sortent de l’homme ou bien correspondent en quelque façon à un besoin d’expansion ». Mais la méthode de l’immanence n’implique pas la doctrine de l’immanence. Philosophiquement on n’établit pas l’existence du transcendant, qui aussi bien est surnaturel ; on doit seulement montrer qu’il y avait en nous une requête du surnaturel et du transcendant, et qu’elle trouvera sa satisfaction dans la connaissance de vérités qui préexistaient à la recherche philosophique, et qui en dépassent la conclusion. Au terme de son étude destinée à éclairer la notion d’une philosophie religieuse, M. Cremer soulève en termes discrets une question importante. Il se demande si le protestantisme conçu à la façon d’un Vinet, d’un Secrétan, d’un Auguste Sabatier, ne correspondrait pas à la philosophie de l’action mieux que le catholicisme, s’il ne serait pas plus capable d’assurer la suprématie de l’esprit sur la lettre. Cette question est reprise à son tour par M. Delbos dans la Préface, concise et pleine, qu’il a écrite pour le travail de M. Cremer. Si la philosophie de l’action n’est pas comme d’autres systèmes de philosophie religieuse une « utilisation » factice de doctrines qui sont nées hors de la religion, si elle est issue de l’intérieur même de la pensée chrétienne, si elle implique au fond d’elle-même l’idée de « la puissance qui réalise substantiellement l’accord de la vérité proposée aux âmes et de la pratique capable de l’introduire en elles efficacement », il est naturel, aux yeux de M. Delbos, qu’elle trouve son expression la plus complète dans l’assimilation intégrale de la lettre à l’esprit, par conséquent dans le catholicisme.

Maïmonide, par Louis-Germain Lévy. 1 vol. in-8 de 284 p. Paris, Alcan, 1911. — M. L.-G. Lévy, qui en 1905 avait publié un essai sur la métaphysique de Maïmonide, vient de nous donner une étude d’ensemble sur l’œuvre du plus célèbre des métaphysiciens juifs au moyen âge. C’est là, si nous ne nous trompons, le premier ouvrage de quelque importance écrit en langue française que l’on ait consacré à ce philosophe. Mais, pour avoir attendu longtemps son historien français, Maïmonide n’aura rien perdu ; car ce livre est excellent de tous points. Après avoir, par une série de brèves notices, rattaché Maïmonide à ses prédécesseurs arabes et juifs, l’auteur retrace la vie du philosophe en insistant spécialement sur ce qui peut nous aider à comprendre le caractère spécial de ses œuvres. Il s’attache ensuite à déterminer les sources de sa doctrine : l’ancienne littérature judaïque d’abord, Bible, Talmud et Midrasch ; la plupart de ses devanciers juifs et arabes ; enfin Platon, les Néo-Platoniciens, les Stoïciens, mais surtout Aristote dont l’influence est prépondérante dans son œuvre. Selon M. Lévy, il conviendrait d’y adjoindre. Platon dont on a nié à tort l’influence sur la pensée juive du moyen âge.

Dans l’ensemble cependant le système de Maïmonide consiste essentiellement en une tentative pour fonder rationnellement, sur les bases de la métaphysique aristotélicienne, la tradition judaïque. Il fait pour la religion juive ce que saint Thomas va faire pour le christianisme, avec cette différence toutefois que l’aristotélisme de Maïmonide est, plus encore que celui de Thomas d’Aquin, teinté de néo-platonisme. Dans le Guide des Indécis qui est son œuvre maîtresse, nous trouvons des preuves de l’existence, de l’unité et de la spiritualité de Dieu. C’est peut-être à propos de la question des attributs divins qu’il se montre le plus original, en refusant absolument l’attribution à Dieu de tout attribut positif pour ne lui reconnaître que des attributs purement négatifs. Il apporte à établir cette doctrine une rigueur où n’avaient pas atteint ses prédécesseurs. En ce qui concerne sa conception de l’univers, il se rallie à Aristote sauf sur ce point qu’il critique la théorie de l’éternité du monde pour lui substituer celle de création ex nihilo. En montrant que cette dernière thèse, dont d’ailleurs on ne peut établir de démonstration absolue, est, non seulement acceptable pour la raison, mais encore plus vraisemblable que celle d’Aristote, Maïmonide rend possibles la révélation, les miracles et la prophétie, fondements nécessaires de la religion. Viennent ensuite les questions relatives au mal, à la finalité et à la Providence, qui conduisent à justifier Dieu des reproches qu’on lui adresse touchant la présence du mal dans le monde. Enfin viennent l’explication rationnelle des prescriptions reli-