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Dans ces deux articles, M. Loew défend, contre les critiques de Nestlé et de Lortzing, l’interprétation qu’il avait proposée, dans un programme du Sophiengymnasium de Vienne, de la doctrine d’Héraclite. Héraclite est, avant tout, un physicien, qui proclame l’immutabilité des lois naturelles (p. 1). Ces lois, communes à l’univers et à l’individu, déterminent la pensée qui reflète la nature, et, dans son essence, est quelque chose de spontané et d’immédiat. Par suite, tout ce qui est artificiel doit être exclu. Les mots sont des productions de la nature et chacun d’eux exprime la réalité. Au contraire, la pensée abstraite ne parvient jamais à la vérité (p. 2). Le Logos est, comme l’a bien vu Anathon Aall (p. 4), un calcul, un raisonnement ; il s’oppose au mot (ὄνομα, σημεῖον) qui exprime ce qu’il y a de naturel dans la pensée. M. Loew examine et traduit les fragments 4 a, 92, 93, 32, 112, 113, 114, 48, 75, 30, 53, 111, 129, 15, 73, 17, 140, 55. Partout, il constate l’opposition de deux séries de termes, l’une exprimant la nature, l’autre l’artifice. Λέγειν et ποιεῖν sont toujours associés (p. 10, 11) ; ces deux termes s’opposent à φρονεῖν et ἐργάζεσθαι (p. 8), comme μανθάνεω s’oppose à γιγνώσκειν (p. 13). Ces théories sont directement contraires à celles de Parménide, qui refuse de tenir les mots pour des productions de la nature (p. 20) et s’attache au raisonnement, méprisé par Héraclite (p. 21).

Héraclite et Parménide, écrivains contemporains l’un de l’autre (leur ἀκμή a tous deux tombe entre 504 et 502 ; leurs œuvres n’ont pu être, ni l’une ni l’autre, publiées avant 478) (p. 344), ont dû être en rivalité, sinon dans leurs écrits, du moins dans leur enseignement oral. Leurs deux doctrines se rattachent au grand mouvement sceptique provoqué par Xénophane : mais Parménide est conservateur, Héraclite radical (p. 345).

Depuis Sextus Empiricus, la doctrine du Logos est interprétée comme une doctrine mystique. En réalité, Héraclite, comme tous ses successeurs jusqu’à Aristote, emploie le mot Logos, dans son sens étymologique (calcul, combinaison mentale, Berechnung, p. 347-348). Dans l’antiquité, il a passé pour un physicien empiriste (p. 350). Sextus, le premier a systématiquement altéré le sens du fr. 1, et tous les traducteurs modernes (Diels compris) l’ont suivi (p. 355). Mais chez Héraclite, comme chez Parménide, le Logos s’oppose à la poésie, à la fiction (σῆμειον, ἔπεα, ὄνομα). Bref, tout concourt à nous attester le sens réaliste et rationnel de la doctrine du Logos (p. 366-367). En terminant, M. Loew montre que le sens du terme λόγος n’est pas différent dans le fragment d’Épicharme invoqué par Lortzing (p. 367-369).

Wolfgang Schultz : Der Text und die unmittelbare Umgebung des Fgmt. 20 des Anaxagoras (p. 322-342).

Le fragment 20 d’Anaxagore nous est connu par une traduction hébraïque faite elle-même d’après un original arabe. Au xvie siècle, le juif Moïse Alatino a traduit en latin le texte hébreu. M. Schultz publie au complet le texte hébreu, la traduction latine d’Alatino, et une traduction allemande du texte hébreu, qui est due à M. H. Müller. Dans le texte hébraïque. Anaxagore est appelé Ansaros, et il est question de lui dans un long pas sage, qui précède celui que Diels a publié.

C. M. Gillespie : On the Megarians (p. 218-241).

Nouvelle discussion sur le fameux texte du Sophiste de Platon relatif aux εἰδῶν φίλοι (p. 246 B et suiv.). M. Gillespie admet comme Zeller que les amis des Idées sont les Mégariques, mais il se refuse à découvrir chez les Mégariques une Théorie des Idées, analogue à celle de Platon (p. 220). Comme les Éléates, les Mégariques admettent l’existence d’un Être unique, immobile et parfait, mais, à la différence de l’Idée Platonicienne du Bien, dépourvu de toute activité (p. 22). Il est peu probable qu’ils aient employé les termes εἶδος ; et ἴδεα dans un sens technique. Contre Burnet et Taylor, M. Gillespie affirme que l’emploi technique de ces termes date de Platon (p. 223-225). L’interprétation de Zeller est viciée, du reste, comme toute l’interprétation qu’il donne de la philosophie socratique, par le subjectivisme kantien (p. 225). Toutes ces doctrines ne sont à aucun degré des philosophies du concept. Elles se proposent d’atteindre l’essence réelle des choses et de déterminer les rapports de l’un et du multiple, non ceux de l’individuel et de l’universel (p. 228). Tandis que Platon estime possible une conciliation du multiple et de l’un, les Mégariques restent fidèles à la thèse éléatique (p. 229). Leur unité, comme celle de Parménide est une substance (p. 232). Par suite, le monde sensible n’est qu’apparence ; la prédication et le changement sont inintelligibles (p. 234-235). On s’explique alors le goût des Mégariques pour les sophismes, leur négation de toute réalité potentielle, leur analyse du mouvement renouvelée de Zénon et diverses autres particularités de leur doctrine.