Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1909.djvu/4

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déjà, pour les lecteurs de la Revue, d’anciennes connaissances. La conclusion qui s’en dégage, l’auteur la résume lui-même en examinant dans un autre chapitre les conditions auxquelles doivent satisfaire les définitions données dans l’enseignement mathématique : ces définitions doivent conserver toujours un contact avec la réalité, et, par réalité, il ne faut pas entendre ici nécessairement la réalité sensible. « Il y a une réalité plus subtile, qui fait la vie des êtres mathématiques et qui est autre chose que la logique » (p. 133). C’est par cette réalité qui les vivifie que les définitions mathématiques se distinguent des définitions logiques entièrement arbitraires ; c’est de même par le sentiment de cette réalité (ce que M. Poincaré dénomme intuition) que l’invention mathématique se déploie sans cesse à la recherche de nouveaux objets, dans des démarches qui n’ont rien d’une régularité automatique et comme préétablie, mais dans lesquelles il entre, au contraire, une grande part d’imprévu et de contingence. Faisant appel a son expérience personnelle, M. Poincaré montre par ailleurs comment les trouvailles du géomètre se font en quelque sorte à son insu, dans le moi subliminal, et il projette ainsi un rayon de lumière dans les profondeurs obscures et inexplorées de la psychologie du savant, dans le mystérieux laboratoire où la science se fait. Parmi les autres articles de ce recueil, signalons une étude sur le Hasard, où il convient de noter une définition ingénieuse des phénomènes fortuits, c’est-à-dire des phénomènes auxquels peut s’appliquer le calcul des probabilités : « une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable, que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard » (p. 68). La disproportion entre la variation de l’effet et la variation de la cause, la deuxième étant infiniment petite, est une des conditions qui se trouvent le plus généralement à la base des faits considères d’ordinaire comme échappant à toutes lois, autres que celles du hasard. Cette notion nouvelle et féconde se distingue à la fois de la définition classique (ignorance des causes), et de la définition de Cournot, suivant laquelle les événements fortuits seraient dus à la rencontre de séries causales indépendantes.

Signalons enfin un curieux article de physique mathématique, inspiré par les derniers travaux de lord Kelvin, et qui montre le parti que l’on peut tirer de l’application de la théorie cinétique des gaz à une question d’astronomie pure : constitution de la voie lactée. Nul exemple n’est plus propre à montrer la solidarité profonde qui unit entre elles les parties les plus diverses de la science et les répercussions insoupçonnables a priori d’une découverte ou d’une hypothèse heureuse dans des domaines du savoir en apparence étrangers et fort éloignés les uns des autres.

Les principales théories de la Logique contemporaine (Ouvrage récompensé par l’Académie des sciences morales et politiques), par P. Hermant et A. van de Waele. 1 vol. de 302 p. Paris, Alcan, 1909. — Les auteurs ont groupé sous trois chefs : école allemande, école anglaise, école française, la plupart des systèmes contemporains de la connaissance, et ils se sont appliqués, avec beaucoup de conscience, à en fixer les nuances distinctives depuis le réalisme naïf jusqu’au solipsisme. Le livre se termine par un chapitre où ils résument leurs critiques et présentent leur théorie personnelle de la connaissance, qui se fonde sur une analyse psychologique de notre faculté de connaître, et tire de cette analyse des conclusions pragmatistes sur la relativité de la vérité au milieu social et même à l’activité individuelle.

Le plan suivi ne nous paraît pas très heureux. Les systèmes ne sont pas exposés pour eux-mêmes, mais les auteurs mêlent en un même chapitre plusieurs théories auxquelles ils se réfèrent suivant l’ordre de questions qu’ils ont assez arbitrairement adopté. De là de fréquentes redites, et souvent une certaine obscurité dans l’exposition trop décousue.

Et surtout, sous le vocable « Logique », les auteurs ont traité des différentes interprétations métaphysiques de la Logique ; ils n’ont rien dit de « la logique ». Que dirait-on d’un livre sur les principales théories de la Géométrie qui ne serait qu’un exposé des conceptions métaphysiques de l’espace ? Or, le fait est qu’il y a une logique, qui n’est plus celle d’Aristote, comme il y a une géométrie, qui n’est plus celle d’Euclide. Les auteurs semblent ignorer tout le mouvement qui depuis Boole jusqu’à Schröder, Russell, Whitehead, Peano, etc., a abouti à la construction d’une théorie des relations logiques, qui dépasse infiniment la logique aristotélicienne. Cette lacune explique certaines erreurs regrettables, comme celle qui consiste à considérer les principes d’identité, de contradiction, de milieu exclu, comme les seuls principes logiques, et certaines vues superficielles, tel le fait d’opposer les principes précédents comme principes « statiques » au