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se propose dans ce travail, de déterminer le sens de la théorie obscure des incorporels dans l’ancien stoïcisme. Il s’agit d’abord de savoir ce que les stoïciens ont entendu au juste par « l’exprimable » qui est le premier des quatre incorporels, et ensuite il faut préciser le rôle que jouent, dans une philosophie purement matérialiste, ces quatre réalités immatérielles, l’exprimable, le vide, le temps et le lien. D’après M. Bréhier, les stoïciens ont, en définitive, envisagé le corps comme quelque chose d’actif : les incorporels sont ceux des effets de l’activité du corps qu’il n’est pas possible de considérer comme des corps ainsi que la couleur ou le son. Il y a là un souvenir de certaines conceptions d’Aristote : Aristote, qui nie la réalité des idées séparées, admet, d’autre part, l’existence au moins logique des genres et il se trouve introduire ainsi dans la science la notion d’une nouvelle sorte de réalité. On aimera surtout, dans le travail de M. Bréhier l’analyse pénétrante de la théorie des exprimables. Ses vues générales sur le stoïcisme peuvent être contestées ; et son interprétation même de la théorie des incorporels est évidemment, en l’absence de textes décisifs, assez conjecturale. N’était-il pas possible de distinguer avec plus de précision ce qui appartient aux différents stoïciens ? Mais il faut savoir gré à M. Bréhier de s’être attaqué à un sujet si aride et d’avoir contribué, par des considérations judicieuses, à l’éclaircir un peu.

Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, par Émile Bréhier. 1 vol. in-8 de xiv-336 p., Paris, Alphonse Picard et fils, 1908. — L’ouvrage de M. Bréhier est divisé en trois parties : le judaïsme, la théorie de Dieu, des intermédiaires et du monde ; la conception du culte spirituel et du progrès moral. — En ce qui touche le judaïsme, l’œuvre de Philon consiste essentiellement transformer l’histoire juive en une théorie du salut, grâce à la méthode allégorique. La loi juive, que Philon conçoit à la manière d’un rhéteur néo-pythagoricien, devient loi universelle de la nature et perd toute signification politique. La méthode allégorique qui permet cette transformation vient, selon M. Bréhier, des thérapeutes ; elle était inconnue, sous la forme que Philon lui donne, des autres prédécesseurs de Philon, et notamment des Esséniens. Toute la théologie de Philon est destinée à montrer la communication constante de Dieu et de l’Univers. Après avoir séparé les deux termes d’une manière radicale, par l’idée d’un Dieu absolument transcendant, Philon les rapproche grâce à une multitude infinie d’intermédiaires, les dieux myrionymes. M. Bréhier s’attache surtout à montrer les éléments de provenance diverse qui sont venus se fondre dans cette théorie des intermédiaires. Mais, l’essentiel du Philonisme est, selon M. Bréhier, une certaine conception de la piété, que manifestent les théories de la divination, de l’extase, du culte spirituel. La piété implique surtout une « expéience religieuse » par laquelle l’âme s’unit immédiatement à Dieu. L’originalité de Philon consiste en ce qu’il a conçu la piété comme une sorte de vie intérieure. La possession du divin est interdite à l’âme humaine. Mais elle peut s’en approcher par un progrès continuel. La morale dans ces conditions n’est plus définie, comme chez les philosophes grecs, par des déterminations extérieures. Elle est tout entière dans une attitude de l’âme, qui, se repliant sur elle-même, découvre en soi, d’une manière d’abord fugitive puis de plus en plus stable, le divin qu’elle renferme, ou avec lequel elle communique.

Le travail très intéressant et très consciencieux de M. Bréhier n’est pas toujours facile à lire. M. Bréhier a mélangé sans cesse l’exposition des idées de Philon et les recherches sur leurs origines. De là provient souvent quelque confusion. En outre, tel quel, le livre paraît incomplet. Ce n’est point tant une exposition d’ensemble du philonisme, qu’un chapitre détaché d’un ouvrage plus vaste. Enfin, si l’interprétation générale de M. Bréhier est très probablement exacte, il est permis de trouver conjecturales beaucoup d’interprétations de détail. Ml. Bréhier écarte trop rapidement, semble-t-il, les théories qui font du Philonisme une doctrine spécifiquement juive : des deux éléments du problème — et l’on ne saurait s’en étonner —, il ne paraît connaître avec précision que l’élément grec. Il faudrait pour interpréter Philon un helléniste qui fût aussi un judaïsant. M. Bréhier, malgré toute sa bonne volonté, n’a pas réussi peut-être à se donner toutes les compétences nécessaires. Toutefois ce livre très sérieux et souvent très pénétrant sera fort utile à ceux qu’attire la personnalité attachante et énigmatique de Philon d’Alexandrie.

Spinozismus. Ein Beitrag zur Psychologie und Kulturgeschichte des Philosophierens, von Dr E. M. Gans. 1 vol. in-8 de 110 p., Vienne, Joseph Lenobel, 1907. — Le titre de ce livre d’abord en indique la tendance et les défauts. Ce n’est ici ni