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temps sont à jamais disparus, et personne ne songe à les ressuciter. Que lui importe même, au fond, la science étendue des sociétés sauvages ou barbares ? Elle ne lui ferait connaître que des états dont il aspire justement à éloigner de plus en plus l’humanité » (p. 13-14). Plus loin, il est dit (p. 288) que la seule tentative fructueuse pour établir des lois d’évolution sociale est celle de Herbert Spencer ! Nous nous arrêterons là. Nous n’avons pas la ressource de louer les qualités de style de l’ouvrage, car il est écrit d’une manière banale et même négligée.

La Dynamique des phénomènes de la vie, par J. Loeb, professeur de physiologie à l’université de Berkeley ; trad. de l’allemand par H. Daudin et G. Schæffer, avec une préface de A. Giard. 1 vol. in-8 de 407 p., de la Bibliothèque scientifique internationale, Paris, Alcan, 1908. — Le titre de ce livre pourrait faire croire qu’il contient une théorie générale et mécanistique des phénomènes de la vie, mais le nom de l’auteur suffirait à lui seul pour prévenir toute méprise à ce sujet. Ce n’est pas de vastes et incertaines hypothèse que M. J. Lœb entretient le lecteur, mais d’observations exactes et de faits scrupuleusement notés. Son livre est un cours de biologie générale dans lequel l’état actuel de la science et les plus récent travaux sont exposés de façon claire, nullement dogmatique, en visant moins l’explication souvent prématurée des faits observés que « la prise de possession de phénomènes considérés longtemps comme hors de notre portée ». Parmi les douze leçons qui le composent, il convient de citer notamment celles qui ont trait à la structure physique du protoplasme, à l’action biologique des sels, aux tropismes et à la sensibilité différentielle, à la fécondation, à la parthénogénèse artificielle, et à la régénération des organes.

La théorie de la croissance cellulaire, que l’on enseigne aujourd’hui encore en botanique, repose sur les travaux de Traube et sur la théorie de la semi-perméabilité. L’enveloppe cellulaire est, en principe, une membrane semi-perméable, et l’échange de substances entre la cellule et son milieu paraît régi par les lois de l’osmose. Toutefois, beaucoup de faits sont en désaccord avec la théorie schématique de la semi-perméabilité ; les membranes animales et végétales, surtout les premières, sont des filtres à fonctions complexes ; elles ne sont pas absolument impénétrables aux sels ; elles ne sont pas absolument pénétrables à l’eau ; la nature des sels intervient aussi, contrairement aux lois simples de la pression osmotique.

Il y a enfin des actions antagonistes des sels les uns vis-à-vis des autres, dont il importe de tenir compte. Bref tous ces faits, soigneusement discutés, tendent à prouver que les échanges intracellulaires sont des phénomènes encore peu connus et infiniment plus compliqués que ne l’indique la théorie générale de l’osmose.

Les leçons sur les tropismes sont du plus haut intérêt. M. Lœb interprète ces phénomènes au moyen de la notion des lignes de force, introduite en physique par Faraday. On peut se représenter l’espace comme traversé par des lignes de force de différentes natures, les unes permanentes, les autres se reproduisant périodiquement ou à intervalles irréguliers. Par suite de leur symétrie les animaux sont amenés à orienter leur corps d’une manière déterminée par rapport aux lignes de force issue d’une même origine : ils l’orientent de manière que les points symétriques de sa surface soient atteints par ces lignes de force sous un angle égal, et ils prennent cette position parce que les points symétriques de la surface du corps ont généralement même structure morphologique et même constitution chimique, de sorte que l’inégalité des excitations de deux parties symétriques détermine un mouvement de rotation aboutissant à une position telle que les éléments des deux côtés soient atteints par les lignes de force sous un angle égal.

L’héliotropisme en particulier s’observe chez de nombreux animaux relativement très élevés en organisation. Les réactions héliotropiques supposent : 1° une structure symétrique ; 2° la présence de substances donnant lieu à des réactions que la lumière accélère (ou ralentit) ; or c’est le cas de la plupart des animaux. Mais les réactions héliotropiques sont, suivant les espèces, plus ou moins rapides ; aussi « les auteurs imbus d’anthropomorphisme préfèrent-ils de prétendues explications psychologiques : par exemple, que l’animal « tâtonne de tous côtés » jusqu’à ce qu’il ait trouvé la « bonne direction » (p. 239).

Quant à la tendance personnelle de l’auteur vis-à-vis des explications et des tentatives d’explication des faits qu’il rapporte ou qu’il a lui-même découverts, elle est franchement antivitaliste. Il n’y a visiblement pour lui d’explications valables en physiologie, et même dans le domaine de la morphogénèse, que les explications physicochimiques. Les êtres vivants sont « des machines qui s’entretiennent elles-mêmes et qui produisent de nouvelles machines de leur espèce ». Définition cartésienne, qui a toutes chances d’être bien accueillie par le lecteur français.