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Céleste de Laplace, ou même simplement un cours de physique, en usage dans l’enseignement actuel, il y a entre ces ouvrages une différence profonde. Il y a là un trou qui n’a pas encore été comblé par des travaux historiques. J’ai donc songé à rechercher la transition de l’un à l’autre de ces états d’esprit. Je savais que je ne la trouverais pas dans une analyse nouvelle des ouvrages philosophiques, mais, à côté de la philosophie, dans le domaine de la science proprement dite. Cherchant donc de ce côté, j’ai cru trouver la raison de cette transformation dans la science, les découvertes et l’influence de Newton. Newton n’est pas un philosophe, mais un grand esprit philosophique. Les passages où il développe des idées générales sont assez rares ; mais il est philosophe implicitement, au cours de ses travaux mathématiques, de ses études physiques et de ses hypothèses ; il y a là une méthode impliquée, la méthode newtonienne. J’aurais pu dans l’étude de Newton m’attacher à telle ou telle partie, aux principes mathématiques par exemple ; mais alors je n’aurais pas fait œuvre de philosophe. C’est pourquoi j’ai voulu dégager les principes directeurs de la science newtonienne. La première tâche de l’historien est de ne pas dénaturer son auteur : je me suis efforcé de le faire. Sans doute, j’ai fait des rapprochements constants entre la science de Newton et la science moderne, croyant faciliter par là la compréhension de Newton. Mais c’est surtout dans le langage que j’ai fait Newton moderne.

Quelle est une des idées essentielles de ma thèse ? C’est l’idée de l’influence des idées scientifiques sur la philosophie. J’ai montré que le système cartésien, cinquante ans après la mort de Descartes, s’est trouvé entièrement discrédité. Fait d’autant plus intéressant que le cartésianisme avait été fécond dans le domaine philosophique proprement dit. J’ai attribué ce fait à la pauvreté des conséquences scientifiques qu’on tirait alors du cartésianisme. Là ruine de la physique cartésienne a entraîné la ruine de toute la métaphysique de Descartes, sans qu’il fût besoin d’une réfutation. L’évolution des systèmes philosophiques même les plus forts n’est pas réglée par les seules raisons de logique interne ; il faut tenir compte d’influences externes, au fond les plus importantes : l’influence des concepts scientifiques sur les idées philosophiques. Au cartésianisme, Newton a-t-il substitué un autre système ? Je ne le crois pas. Après avoir fait voir l’inutilité des métaphysiques contemporaines, il n’a pas










songé à en créer une nouvelle. Contre ces systémisations abstraites, s’élève toute l’œuvre de Newton. Telle est l’idée que j’ai voulu mettre en lumière sur ce livre. C M. Boutroux. Votre thèse est une œuvre vécue, et votre exposition si nette en témoigne. Vous vous êtes placé à un, point de vue très exact en disant que Newton n’est pas philosophe. Je crois qu’il est savant et exclusivement savant. Il est visible que l’œuvre de Newton ne dépend à aucun degré des réflexions, philosophiques, reléguées à. la fin dans des scholies. Vous avez très bien’marqué ce qui caractérise cette science le rôle des mathématiques dans cette physique. La physique ne repose pas sur les mathématiques. Les principes sont obtenus par l’expérience et revêtent une forme mathématique. Nous aurons affaire à des [ois formulées mathématiquement, et non plus à des causes. Votre méthode est très personnelle ; vous êtes dans le vrai quant aux idées maitresses de votre travail.. Mais votre mode d’exposition n’est pas sans soulever quelques objections. Vous vous êtes mis en opposition avec les idées actuelles vous exposez, sans nous donner beaucoup de citations, de références et de preuves auxquelles nous puissions nous reporter. Des références et des citations eussent été utiles. Vous vous engagiez par là à une sorte d’infaillibilité, et parfois vous avez failli. Parexemple, p. 361, vous dites que Newton présente quelque chose comme <̃ vraisemblable’ ». Or, dans le texte, il y a « rationi enim consentaneum. », « il est conforme à la raison ». Or, une généralisation fondée sur la raison, pour Newton, est certaine. M. Bloch. J’ai emprunté les’mots incriminés non pas à : Newton même, mais à la traduction française de M™* du Châtelet. Mes inexactitudes retombent. donc en partie sur cette traduction. M. Boutroux. M™* du Châtelet, ce n’est pas le texte dé Newton. P. 467, vous traduisez en gros, mettant l’accent là où Newton ne" l’a pas mis, et par suite changeant le sens du passage. P. 498, vous argumentez sur le mot « spiritus Le mot « esprit universel », traduction de ce spiritus et mis en italique, sert de transition pour passer de l’éther à Dieu. Je’ne trouve pas cela dans le texte, et le mot spiritus, h mon avis, a un tout autre sens ; Aujourd’hui encore, en Angleterre, spiritus signifie tout simplement une matière volatile, par exemple de l’esprit-de-vin. – Vous dites que les ouvrages de Bacon imitent souvent le dogmatisme de Des-