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point : l’importance des phénomènes sur lesquels il avait à se défendre. Mais cet aliéné, réellement tel quelques mois, peut induire l’aliéniste en erreur. Il ne faut pas croire sur parole, Monod rapportant son dialogue avec Dieu. Le dialogue à mon avis n’a pas eu lieu. Monod dramatise les événements. Il emploie des procédés d’une façon inconsciente. Il n’y a pas eu lutte entre son inconscient et sa conscience. J’ai trouvé dans les cahiers de son secrétaire que Dieu faisait travailler saint Paul dans la composition de ses épîtres, mais confirmant seulement chaque phrase, après qu’elle était écrite : C’est ainsi que travaillait le maitre. Il y a des phénomènes d’hallucination, mais ils n’ont pas grande importance. C’est un accident.

M. Dumas. Un accident dont a dépendu sa vie. Pourquoi voulez-vous que Monod nous ait trompés, alors que c’est vrai pour tous les aliénés ? Mais, passons, après cette crise, vingt-six ans de silence.

M. d’Allonnes. Je crois que Monod était réellement aliéné pendant son internement. Mais je crois que peu à peu, G. Monod est redevenu sinon normal, du moins l’homme exalté qu’il était avant sa crise. La preuve, c’est qu’on lui a redonné une chaire.

M. Dumas. Un homme qui se croit Jésus-Christ, prophétise, trouve des textes dans la Bible, pour annoncer sa venue, peut-il être considéré comme normal ?

M. d’Allonnes. Il est normal, je crois, dans la mesure où le sont les fondateurs de religion.

M. Dumas. Son cas est classique : 1e crise d’excitation délirante : des idées latentes s’installent, rétablissement apparent ; 2e pendant vingt-cinq ans, il fabrique une période de délire secondaire. Ou bien les mots normaux et anormaux n’ont plus de sens, ou bien Monod était fou.

M. d’Allonnes. J’accepte deux terminologies. Au point de vue médical, Monod a été un délirant systématique pendant la première partie de sa vie, un délirant constructif s’adaptant au milieu social pendant la deuxième partie. Mais, au point de vue social, on ne peut dire que cet adapté était un anormal.

M. Dumas. Je crois qu’à force de vivre avec M. Monod, vous avez fait du délire avec lui. D’où votre indulgence.

M. d’Allonnes. Il me semble qu’un homme qui fonde une doctrine et la systématise n’est pas un fou.

M. Dumas. Je suis moins indulgent que vous. Vous citez des messies que vous rapprochez de Monod, pour montrer que Monod est plus voisin de ces mystiques que des mystiques d’asile. Mais cela n’éclaire pas sur le cas de G. Monod et n’est pas éclairé par lui. C’est beaucoup trop court pour être intéressant, 25 lignes pour Jésus ! Je crois que ce chapitre dépare un peu votre thèse. Vos comparaisons sont trop lointaines. Vos prophètes monodistes auraient eu besoin d’être étudiés de plus près : je sais bien que vous ne pouviez pas. Mais, c’est important à constater, pour estimer la valeur des conclusions qu’on en peut tirer. Vous comparez Monod avec certains interprètes modernistes, l’abbé Loisy par exemple : les modernistes seraient plus hardis que Monod dans l’interprétation des textes.

M. d’Allonnes. Il s’agit de savoir si la doctrine peut être crue par des gens normaux. Monod emploie sa méthode plutôt qu’une méthode rationaliste ; mais cette méthode est plus normale que l’autre.

M. Dumas. Ce qui nous empêche de nous entendre, c’est que nous ne parlons pas le même langage. Au point de vue clinique et psychologique, vous avez été trop indulgent.

M. Durkheim. Vous aviez choisi un sujet attirant, mais dangereux. Après vous avoir lu, je n’ai aperçu qu’imparfaitement les conclusions où aboutissait votre travail. Les six propositions qui sont la conclusion de votre thèse n’en contiennent qu’une qui intéresse la psychologie. L’écart entre le titre et le contenu du livre est si grand que je ne pouvais retrouver dans votre exposé votre thèse. Je me suis demandé si cette confusion ne venait pas des variations par lesquelles a passé votre pensée. Je vous demande donc : quelles propositions psychologiques importantes avez-vous établies ?

M. d’Allonnes. Comme méthode générale, je m’interdis les chapitres à idées générales reposant sur des faits que j’ai gardés pour moi. Je veux faire en sorte que la psychologie de l’inspiration se dégage peu à peu des faits étudiés. Je n’ai pas fait un livre dogmatique, mais un livre d’observation. J’observe un fondateur de religion dans la première partie ; dans la deuxième partie, j’étudie la formation d’une synthèse de cultes et de croyances qui est ce qu’on peut appeler une religion.

M. Durkheim. Vous donnez une importance singulière au groupe des monodistes. Vous parlez des doctrines de l’auteur et des termes bien peu en rapport avec la valeur de cette doctrine. Vous faites de l’apologétique monodiste. Vous abordez la doctrine de Monod, sans un texte à l’appui de vos affirmations. Cet