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Résoudre la contradiction de la connaissance et de l’être, c’est la vie (p. 95). Spinoza aboutit d’abord à un « logozoïsme éthique », puis à un logozoïsme métaphysique. Pour Spinoza, l’affection est le premier degré de la connaissance, l’idée adéquate, la suprême degré de l’activité spontanée. Ainsi s’efface l’opposition entre l’action et la pensée. Car la pensée adéquate est en même temps l’action pure : la pensée inadéquate est passive, elle représente (Vorstellen), la pensée pure est active : elle conçoit (Darstellen). Ainsi la réalité logique devient le principe de l’être, elle n’est plus seulement un impératif de la vie morale, elle est la source de toute réalité. Et elle n’est pas non plus un au-delà sans lumière et sans vie, car (p. 78) la pensée est puissance, la puissance est action, réalité. Comme la pensée parfaitement adéquate est enfin l’activité parfaitement spontanée, elle est enfin l’existence complète. Elle est Dieu. L’action de la loi logique est l’objet d’amour intellectuel. Car dans ce progrès qui va de l’affection à l’idée adéquate, l’affection n’a pas changé de nature, mais seulement de point d’application : elle ne s’attache plus à des idées inadéquates, elle devient l’amour intellectuel de Dieu (p. 94-103). — Le spinozisme est un panthéisme, mais ce panthéisme s’oppose directement à celui de Gœthe. L’homme de Gœethe va de la science à l’action : l’autre, de l’action à la connaissance. Pour Gœthe, Dieu ne peut être connu, mais senti, pour Spinoza, Dieu, c’est la connaissance adéquate de l’ordre du monde. Ce qui est commun à Gœthe et à Spinoza, c’est le monisme qui donne à l’être et au connaître des racines communes. Seulement, l’un se libère de la science par la vie, l’autre se libère de la vie par la science (p. 90-105).

Telles sont les conclusions de ce livre assurément prétentieux et fantaisiste. On peut y relever de grosses erreurs d’interprétation. Il nous gâte Spinoza, en lui prêtant le plus fâcheux romantisme littéraire. C’est gratuitement que M. Gaus fait de Spinoza un ambitieux déçu. Le pari de Spinoza, qu’a si bien expliqué M. Brunschvieg, n’est pas le coup de tête d’un homme désabusé : c’est une démarche toute spéculative. Toutefois, le livre de M. Gaus est très attachant, car, en même temps qu’il décèle chez son auteur une belle passion de la philosophie spinoziste, il contribue à restituer à cette philosophie son caractère concret, vivant, et héroïque.

Unterblichkeit, eine Kritik der Beziehungen zwischen Naturgeschehen und menschlischer Vorstellungswelt, par Hermann Graf Keyserling. 1 vol. in-8o, de 349 p., Münich, Lehmann, 1907. — Ce gros livre sur l’Immortalité se lit avec plaisir. Le mérite en revient sans doute à ses qualités d’ordre, de clarté dans l’exposition et de naturel dans l’expression ; mais aussi au nombre d’idées prises directement, en dehors de toute scolastique et de toute routine professionnelle, aux travaux les plus modernes tant de l’étranger que de l’Allemagne. La méthode de l’auteur est « la critique au sens kantien ». Toutes les formes si variées, si bizarres, que prend la croyance en une vie future laissent atteindre, au fond de leurs mythes et de leurs symboles, une définition générale de cette espérance humaine. Ce type universel, c’est la conscience, plus ou moins confuse, qu’ont tous les homme de ce fait que le principe vital agissant en eux ne s’épuise pas dans l’existence individuelle, dans le temps et l’espace, mais qu’il se prolonge sans fin dans un devenir perpétuel.

Telle est la thèse centrale, vers laquelle convergent toutes les démonstrations, tous les exemples et toutes les digressions qui suivent le premier chapitre.

Au chapitre iii se place une critique détaillée de la faculté de croire. C’est par elle que l’esprit affirme les choses comme existantes, qu’il « reconnait » (anerkennt) ses expériences. « Qu’une chose existe, je ne puis que le croire (p. 147). Mais ce jugement de réalité ne se rapporte pas à l’objet « déterminé » ; toutes les déterminations viennent de l’expérience et de la pensée ; la croyance n’affirme que l’objet indéterminé, en tant qu’il est. Par là elle est la fonction centrale de l’esprit. Pour toute recherche scientifique elle pose les premiers principes (Voraussetzungen) qui rattachent le fil de la pensée à la réalité.

Or cette faculté peut, dans la croyance a l’immortalité, retenir légitimement ce fait, que « nous sentons, notre moi, immédiatement, comme une fonction, une force, un principe actif qui dure, une δύναμις et non pas comme une existence statique » (p. 133). C’est le fondement de la foi en une survie.

De nouvelles analyses nous ramènent à la même thèse et chaque fois la précisent : analyse des notions de durée et d’éternité, d’être et de devenir, pour lesquelles l’auteur se réfère souvent à M. Bergson. L’individualité n’est pas définitive, et surtout n’est pas l’essence de la vie : « Une intelligence permanente, impersonnelle, intemporelle, domine le devenir temporel des phénomènes de la conscience personnelle » (p. 153). Cette conclusion est confirmée par le chapitre vi, précis, intéres-