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instruit. La logique du devenir ne s’exprime pas en propositions convertibles. Elle ne dit pas : A est A, mais A devient B, d’où il ne suit pas que B devienne A. En particulier tout processus psychique est continu, ne peut être traité ni comme une pure création, ni comme le simple résultat d’une cause antérieure plus simple. Le principe de causalité engendre des erreurs en psychologie, puisqu’il affirme que l’effet n’est rien de plus que sa cause.

La tâche consiste donc à partir de la pensée la plus vague, la plus inconsistante, la plus indistincte qu’on puisse concevoir, de cette « expérience pure » si finement décrite par W. James (Journal of Philosophy, etc., 1905) : « Expérience pure est le nom que je donne à l’afflux original de la vie consciente avant que la réflexion ait apporté ses cadres. Seuls les enfants nouveau-nés, les personnes dans un demi-coma par l’effet du sommeil, des drogues, de la maladie ou de quelque traumatisme peuvent avoir cette expérience pure où l’on perçoit quelque chose sans pouvoir le définir telle chose et de manière cependant que cela puisse devenir n’importe quoi ; expérience qui enveloppe l’un et le multiple, mais suivant des points de vue non encore précisés, susceptible de changement total et pourtant si confuse que les phases s’interpénètrent sans qu’il soit possible de saisir des points d’arrêt ou de variation… » Le psychologue partira de cette conscience sans dualisme et en suivra le développement à travers les modes de la présentation pure, de la mémoire, de l’imagination, de la simulation (jeu), jusqu’aux formes supérieures de la réflexion, du jugement moral et du jugement esthétique. Ce développement est guidé par deux formes opposées de contrôle qui le maintiennent dans une voie déterminée. Tantôt il apparaît surtout dirigé par le contrôle externe (influence du milieu, données sensibles), tantôt surtout dirigé par le contrôle interne (intérêt, dispositions, tendances), tantôt oscillant pour ainsi dire entre les barrières naturelles que lui opposent ces deux formes de contrôle. Par ce va-et-vient entre ces deux obstacles opposés se prépare la grande distinction du moi et du non-moi nécessaire aux modes supérieurs de la réflexion, de la vie morale et de la vie esthétique.

Il est prématuré de porter un jugement sur ce volume que deux autres doivent suivre. Cette conception d’une psychologie respectueuse de la vie qu’elle étudie, cet effort pour suivre le mouvement de la pensée sans l’arrêter ne sont pas complètement inconnus en France. L’auteur cite dans sa préface le nom de M. Bergson et en effet tous les admirateurs de la philosophie de M. Bergson se sentiront attirés par cette tentative originale pour assouplir les concepts trop rigides de la théorie de la connaissance, pour se débarrasser des idées toutes faites, pour renouveler la logique par un sens psychologique des plus affinés. Attendons la traduction française que prépare un jeune maître très pénétré de la pensée de l’auteur pour mieux apprécier la valeur de l’exposition même, qui nous paraît jusqu’ici abstraite et obscure, dépourvue de ces qualités de souplesse que requiert une pensée subtile et que possèdent à un si haut degré W. James et M. Bergson.

The syllogistic philosophy or Prolegomena to Science by Francis Ellonwood Abbott, ph. d., 2 vol. de XV-317 et 371 p., Boston, 1906. — Ces deux volumes sont la publication posthume d’un système original de métaphysique positive. L’auteur a pris comme point de départ la doctrine d’Aristote, ainsi que le titre l’indique : le syllogisme est la forme rigoureuse de la science, le syllogisme implique la certitude. Mais, à ses yeux, il y a dans l’aristotélisme un paradoxe qui a faussé toute la spéculation rationaliste jusqu’à l’avènement du darwinisme, c’est la subordination de l’individu à la forme spécifique, c’est l’impersonnalisation de l’esprit jusqu’à l’acte du Noûs. Le fondement ultime, c’est donc l’individu, le sujet personnel de la pensée, mais à la condition expresse de s’y tenir, de ne pas considérer ce sujet comme un terme relatif à un objet, de ne pas tomber dans la contradiction des kantiens, qui ont toujours placé, au delà du moi, un non-moi inaccessible. C’est pourquoi l’auteur substitue-t-il au postulat cartésien du Cogito cette formule qui implique l’objectivité de la pensée : La connaissance existe. Or la connaissance implique la nécessité de dépasser l’individu isolé pour le rattacher à l’ensemble des individus, pour fonder l’unité de ces êtres sur le moi absolu. Le je suis est dans le nous sommes ; le nous sommes est dans le je suis ; — le premier terme étant entendu dans le sens humain, le dernier dans le sens de l’absolu moral. Telle est la forme intéressante que M. Abbott donne au syllogisme de la philosophie. Grâce à ce type fondamental se justifient et le syllogisme de l’être, c’est-à-dire l’évolution des conséquences à partir des prémisses, et le syllogisme de la pensée, c’est-à-dire l’involution des antécédents dans la conclusion,