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de l’Unité divine et amenée, par là, à nier la divinité du Christ, vivante surtout par son rayonnement dans les Églises, et actuellement en voie de réintroduire la croyance à la divinité du Christ, grâce à la philosophie de l’immanence et de la « consubstantialité de l’homme avec Dieu ».

Conformément à ces principes et à cet esprit, le Hibbert s’est mis au travail de réinterprétation de la doctrine chrétienne. Convaincu que la pensée contemporaine revient de toutes parts, pour des raisons très diverses et d’autant plus inéluctables, à une conception spirituelle du monde (James Ward, Mécanisme et morale, oct. 1905) ; convaincu, de plus, que cette conception est identique, en son fond, avec le christianisme, bien que le rapport n’en soit pas encore évident aux yeux de tous, un groupe d’écrivains a entrepris de rechercher les raisons profondes de ces tendances, et de manifester le christianisme qu’elles recèlent. On s’efforce donc de dégager, non pas tant l’essence du christianisme, que ce qu’il y a de vivant en lui, par-dessous les interprétations courantes qui le déforment. En ce sens, citons au premier rang les articles du principal de l’Université de Birmingham, sir Olivier Lodge, qui a passé tout récemment de la théorie des ions à la doctrine du péché (oct. 1904) et aux principes de la foi (juillet 1906). Citons aussi les articles de M. Pickard-Cambridge, d’Oxford, sur le Christ du dogme et le Christ de l’expérience (janv. 1905) ; de M. MacTaggard, de Cambridge, sur l’Insuffisante de certaines bases communes de la croyance (oct. 1905) ; et de M. Campbell Fraser, sur Notre risque ultime (janv. 1906), c’est-à-dire la recherche de postulats moraux et spirituels impliqués dans notre croyance initiale en un cosmos physique. Quelques pages d’un ministre congrégationaliste de Londres, le Rév. R. J. Campbell, sur la Doctrine de l’expiation et la pensée sémitique (janv. 1906), méritent une mention spéciale : non pas qu’elles aient, pour l’exégète et pour l’historien, une bien grande valeur ; mais elles résument bien la pensée philosophique latente, de ce néo-christianisme : et, par la polémique qu’elles viennent de soulever en Angleterre, elles ont eu le mérite de poser le problème dans toute son acuité. Pour M. Campbell, la doctrine de l’expiation est d’origine sémitique : l’idée primitive est simplement celle d’une solidarité de vie entre Dieu et ses adorateurs ; le système sacrificiel ne comporte nulle idée de propitiation : il est « l’offrande symbolique de l’individu et de la communauté, comme tout, à la divinité comme à son véritable achèvement ». La notion de péché serait une surcharge d’origine babylonienne : la théologie chrétienne a eu le tort de lui donner le premier rang, et de présenter une doctrine purement matérielle de la rédemption. Il faut revenir à l’idée primitive, sans chercher, dans le sacrifice du Christ autre chose qu’un modèle de dévouement. « L’offrande la plus agréable à la divinité est celle qui réclame le plus de l’individu pour la vie de la race… Qu’une vie ait été vécue une fois en termes de l’ensemble, et ait accepté les conséquences de cette acte, voilà la Rédemption : et elle ne recevra son plein effet que lorsque la race tout entière se sera conformée à son esprit et à sa ressemblance ».

Lorsqu’on se place en présence de la pratique religieuse, lorsque c’est, non plus le problème intellectuel, mais le problème moral, et social, qui prime, le ton change. Aussi ces tendances « spiritualistes » se trouvent-elles curieusement liées à une refonte de l’idée de société dans un sens très opposé à l’ancienne théorie protestante, congrégationaliste, des droits souverains de l’individu ou du groupe d’individus. À l’idéal ancien d’un catholicisme morcelé en petites Églises, toutes complètes et indépendantes, on substitue de plus en plus la conception d’une société organique, vue, douée d’une autorité collective et historique, à laquelle tous les groupes se subordonnent. Un célèbre ministre congrégationaliste de Londres, le Dr Forsyth, principal du collège théologique de Hackney, s’est fait l’interprète de ces idées nouvelles, en deux articles curieux : Autorité et théologie (oct. 1905. C’est une erreur de croire que notre protestantisme ait placé l’autorité dans la conscience individuelle : l’autorité est un donne, quelque chose qui s’impose à la conscience par l’histoire) ; — et Un centre de ralliement pour les Églises libres : la réalité de la grâce (juillet 1906. L’Église romaine se concentre sur la doctrine d’une société divinement instituée, l’Église, mouvement d’une immense portée en un âge social. La Bible a perdu, pour nous, son autorité infaillible ; la simple fédération entre église est insuffisante : il nous faut une autorité, centrale et créatrice ; il nous faut un dogme d’Église).

Il sera intéressant de suivre ce conflit entre le besoin pratique croissant d’une autorité, d’une Église, et l’aspiration de la pensée religieuse à s’émanciper de toute orthodoxie pour devenir elle-même l’orthodoxie de la société moderne.

Rivista di filosofia e scienze affini (9e année, 1906). — Signalons, dans