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très curieux de voir comment, dans cet ouvrage concis et vigoureux, des considérations puisées dans l’éthique aristotélicienne viennent féconder une doctrine qui s’apparente directement à l’idéalisme néo-hégélien.

Miss Calkins est, on le sait, disciple de Royce ; elle accepte, quant à l’essentiel, les thèses principales de la « philosophie du loyalisme » l’individu, étant essentiellement un membre de la Communauté Universelle, ne peut se réaliser intégralement lui-même qu’en servant loyalement celle-ci (p. 66). Ceci nous permet de nous élever au-dessus du débat qui divise les hédonistes et leurs adversaires ; car le bien véritable ne peut être conçu que comme l’expérience la plus riche et la plus pleine, la vie parfaite de la communauté. Dès lors, pour autant que nous travaillons en vue de celle-ci, l’objet suprême auquel nous tendons n’est ni le bonheur ni la sagesse, mais l’union de l’un et de l’autre ; ni l’affirmation du soi par soi, ni le loyalisme pur et simple, mais à la fois celui-ci et celle-là. En un mot « nous cherchons à donner son expression la plus complète à chaque puissance, son plus libre exercice à chaque activité de l’univers intégral des personnalités » (p. 79). Cette définition du souverain bien ne saurait suffire à nous permettre de nous former une idée exacte et claire de ce que c’est qu’une vertu. Par vertu, il faut entendre « une habitude du vouloir grâce à laquelle un homme gouverne (controls) ses tendances instinctives de manière à contribuer à la réalisation… de l’objet de ce vouloir » ; mais nous savons que cet objet, c’est en dernière analyse le loyalisme que nous témoignons au monde des personnes (universe of selves). Miss Whiton Calkins est ainsi amenée à énumérer les tendances instinctives qui lui paraissent irréductibles ; et c’est en fonction de chacune de ces tendances qu’elle définit chaque vertu ; c’est ainsi que l’économie se définira en fonction de l’instinct d’appropriation, l’obéissance en fonction de l’instinct d’imitation, les vertus militantes en fonction de l’instinct de combativité, etc. Et on peut trouver que la classification qu’elle nous apporte est arbitraire en plus d’un point. Il n’en est pas moins intéressant de voir comment, reprenant la vieille notion un peu discréditée du juste milieu, Miss Whiton Calkins s’ingénie à montrer que chaque vertu correspond à un équilibre de tendances divergentes ou contradictoires ; elle ne fait d’ailleurs que reprendre la notion de « résolution » telle qu’on la trouve chez Holt, qu’elle cite fréquemment. Cet équilibre est non point du tout une sorte de don naturel, de grâce dont certains d’entre nous bénéficieraient, mais une conquête, le produit chèrement acheté d’une discipline. Les développements que Miss Whiton Calkins consacre à la justice, et en particulier à la justice distributive, sont particulièrement vigoureux. Elle montre fort bien par exemple comment le droit de propriété ne peut se fonder que sur la considération des avantages qu’entraîne pour la communauté universelle le fait de reconnaître ce droit à l’individu. Il me paraît, par exemple, parfaitement certain que mon « rendement » est accru du fait que j’ai un droit exclusif de propriété sur mon propre exemplaire de la Psychologie de James, sur mon stylographe et sur ma brosse à dents » l’abolition complète de la propriété privée n’est, par suite, en aucun sens un corollaire de l’idée de justice distributive. — La partie la plus faible du livre nous paraît être le dernier chapitre qui traite des rapports de la morale et de la religion la citation de Wells qui termine l’ouvrage ne permet pas de décider jusqu’à quel point le loyalisme envers la communauté universelle peut, aux yeux de Miss Whiton Calkins, être regardé comme identique en son fond aux sentiments de dépendance et de gratitude qui lient le Croyant à son Créateur ; mais il se peut que Miss W. Calkins compte consacrer son ouvrage ultérieur à cet ordre de questions.

Die Nationen und ihre Philosophie, par Wilhelm Wundt, 1 vol. in-8o, de 154 p. Leipzig, Alfred Krôner Verlag, 1916. — C’est à l’occasion de la guerre que ce petit livre a été composé ; toutefois les idées qu’y développe l’auteur sur les nations et leur philosophie ont été mûries par lui, il nous l’assure, pendant les années de paix et ses aperçus ont à ses yeux plus qu’une valeur de circonstance. Dans ce compte rendu sommaire nous laisserons de côté les deux premiers chapitres : l’un nous fait assister à la naissance de la pensée moderne à laquelle trois grands Allemands, Nicolas de Cues, Copernic et Paracelse fournissent ses idées directrices, l’autre traite brièvement de la Renaissance italienne.

Le troisième chapitre contient une définition de l’esprit français et de la philosophie française. Le Français a l’entendement clair, il sait disposer ses idées, et atteint à la maîtrise dans l’expression ; en revanche il manque de profondeur et de puissance créatrice. La philosophie française tout entière se ramène en somme au cartésianisme dont le matérialisme du XVIIIe siècle