l’Éthique, IV, 36 scol.). Pour lui, le mode est une détermination de l’attribut, liée au sujet par un rapport causal : la réalité véritable appartient non au mode, mais au sujet, d’où vient que Spinoza ne parle jamais du mode tout seul, mais du sujet, en tant qu’il est modifié (p. 88).
Une difficulté grave est relative à la situation des modes infinis. En effet, tout mode infini a pour cause, non la substance elle-même, mais un autre mode infini (Eth. I, 25), ce qui paraît contredire la définition générale du mode. Spinoza a résolu cette difficulté de diverses manières. Dans le Court Traité, il mentionne deux modes immédiats et infinis de la substance : l’intellect infini et le mouvement. Seuls ces deux modes n’exigent pas l’existence de modes intermédiaires (comme par exemple l’Amour et le Désir qui n’existent pas sans la représentation (p. 91)). Dans l’Éthique, Spinoza ne dénombre pas les modes infinis, et il faut compléter le texte de l’Éthique par celui des lettres. Mais, il attribue aux modes infinis une situation intermédiaire entre les attributs et les modes finis. D’autre part il affirme énergiquement que l’infini ne peut produire que de l’infini. Comment se fait donc le passage de l’infini au fini ? Selon M. Richter, Spinoza ne donne aucune solution précise sur ce point (p. 97, 98) et il s’est engagé tour à tour dans diverses directions, sans rien achever. Tantôt, comme dans le Court Traité, il admet que le mode infini est seulement cause seconde des modes finis, la cause première étant Dieu. Tantôt, comme dans les Cogitata, il distingue deux sortes de causalités qui agissent simultanément, sans interférer jamais (p. 95). Mais, dans l’Éthique, il n’admet plus qu’une causalité unique. Toutes les essences finies sont produites par la substance, qui en est
cause intemporelle. Elles existent en elles
d’une réalité latente (I, 8, Scol. 2). Ces
essences présentes en Dieu, ce sont précisément
les res fi.rse et aetern/r du de
Emenrfalioiie (p. 117 et suiv.). Examinant
toutes les interprétations qui ont été
proposées de ce texte difficile, M. Hichter
établit qu’il ne Vagit pas, comme on le
croit souvent, des modes infinis, mais des
essences des choses particulières ou des
modes finis, telles qu’elles existent en
Dieu. Seules ces essences peuvent être
connues. tandis que les essences concrètes,
réalisées ne peuvent être objet de
connaissance, car elles sont en nombre
infini. Pourtant ces essences contenues
dans l’essence divine se commandent les
unes les autres et forment une série qui
constitue le contenu de l’intellect infini
(p. 40). Sur la sorte de réalité qui leur
appartient, les textes sont pleins d’obscurité
(p. 97). Parfois, Spinoza parle de
certimodi eogiiandi (40, Scol. et Ep. 32) ;
et d’autres fois, au contraire, il semble
que ces modes finis n’aient aucune réalité
distincte, avant l’existence temporelle
(v. 29, Scol.). En somme, Spinoza ne
pose nulle part clairement le problème
du rapport de l’intemporel à la durée
(p. 99i. Cela tient sans doute à ce que, pour
lui, il est impossible à la pensée de
suivre la série intinie des objets dans la
durée (p. 100).
Ces obscurités relatives à la situation des modes infinis s’expliquent historiquement. On a fait intervenir ici un grand nombre d’influences différentes. Sigwart y trouvait la trace de l’enseignement des Cabbalistes (p. 103). Mais les textes qu’il invoque ne se rapportent nullement à la question traitée par Spinoza. D’autres ont pensé à Plotin, à la doctrine du Logos de l’Evangile selon saint Jean et du début de VÊpitre aux Hébreux (p. 103). Pour M. Richter. l’influence dominante est celle de Plotin, qui a donné à tous les philosophes de la Renaissance leur conception particulière de la divinité. Mais, tandis que le Dieu de Plotin est transcendant, celui de Spinoza est immanent. Interpréter le Spinozisme comme une doctrine de la transcendance (Camerer et Windelband), c’est, selon M. Richter, faire le contresens le plus complet (p. 108). Dans un appendice, M Riehter entend établir que Spinoza, contrairement à l’opinion reçue, a subi très fortement l’influence de Geulincx. Sans doute, les œuvres posthumes de Geulincx n’ont paru qu’après la mort de Spinoza. Mais Geulincx professait à Leyde entre 1635 et 1669 et dès 1669 il avait traité ex professa de la plupart des sujets abordés dans les Opera posthuma. Or Spinoza a séjourné à Rhynsburg (à une heure et demie de Leyde) de 1661 à 1663 et il a été en relations avec une foule d’érudits de Leyde. Il a été lié avec les professeurs de Leyde, Heerebord etCraanen, et plusieurs de ses disciples ont étudié à l’université de Leyde. Il est probable que des relations personnelles ont existé entre Spinoza et Geulincx (p. 114). L’examen des textes confirme ces inductions. Non seulement les critiques dirigées par Spinoza contre Descartes sont identiques à celles qu’énonçait Geulincx, mais plusieurs doctrines particulières sont présentées exactement dans les mêmes termes chez les deux philosophes. Telle ta curieuse théorie de l’association des idées (Éthique, II, 18 ; Geulincx, Op., III, 420) tel le renvoi à la