Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 1, 1914.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blable, peut paraître ou non désirable, être voulue ou rejetée avec horreur par la religion, subir de la part de cette dernière, telle évaluation qu’on voudra : elle n’en est ni plus vraie ni plus fausse. La religion au contraire dépend dans ses postulats des résultats de la philosophie ; elle ne peut se désintéresser de la réalité, de la vérité ; elle peut accepter ou condamner le réel, mais elle a besoin de savoir ce qui est réel. « La religion aime et hait, se réjouit et se repent, persuade et prêche ; la philosophie observe et recherche, convainc et enseigne. » Pourtant, sous un autre point de vue, la relation se renverse et l’on peut dire également bien que la philosophie est relativement dépendante de la religion et la religion relativement indépendante, de la philosophie. En effet, si la philosophie ne pose pas de valeurs par elle-même, elle ne saurait se désintéresser des valeurs que posent en fait les hommes et qui constituent une partie intégrante de l’univers considéré dans son ensemble. Or ces évaluations ne s’expriment nulle part plus profondément que dans les religions. La philosophie dépend donc de la religion dans la mesure où elle emprunte à cette dernière une matière de connaissance, et la religion est indépendante de la philosophie en ce qu’elle est un acte libre de la volonté individuelle.

Ainsi la philosophie est la réaction intellectuelle, la religion la réaction émotionnelle de l’homme en face du système des choses. Mais dans la réalité il n’y a pas de sujets seulement connaissants et de sujets qui veulent seulement ; tout sujet est à la fois connaissant, et voulant : d’où la possibilité d’un conflit de la religion et de la philosophie dans la vie interne de l’homme. D’autre part, si la religion et la philosophie considérées en elles-mêmes ne sont point ennemies, la philosophie a dû bien des fois lutter contre les formes historiques concrètes, de la religion : bien des religions ont prétendu imposer comme révélées des images du monde émanées du sentiment trompeur et de la volonté décevante, oubliant que, si la philosophie laisse en dehors d’elle la création des valeurs, la religion ne saurait en revanche prétendre à la connaissance de la vérité ; et que la fin véritable est de purifier la religion de toute philosophie et la philosophie de toute religion pour édifier en dernière analyse la religion sur la philosophie.

Richter aborde un problème non moins délicat de délimitation des concepts en étudiant l’art et la philosophie chez Richard Wagner. Dans un autre essai il caractérise la personnalité et résume l’œuvre de Ludwig Woltmann, le fondateur de l’anthropologie politique. Puis il apporte une contribution intéressante à l’histoire de la pensée kantienne et à la psychologie de Kant et de Schiller en recherchant ce que Kant et Schiller ont pensé l’un de l’autre. Il analyse le poème de Dehmel Zwei Menschen considéré comme l’épopée du panthéisme moderne. Il définit enfin avec une élévation de pensée et une largeur de vues tout à fait exceptionnelles les fins du vouloir et du savoir chez la jeunesse universitaire.

L’homme qui a écrit ses essais n’était point seulement un penseur profond, un savant historien, et un excellent écrivain : l’on ne peut douter qu’il n’ait été un rare éducateur.

Die Situation auf dem psychologischen Arbeitsfelde, par le Prof. Dr  Reinhold Geijer (Bibliothek für Philosophie, publiée par Ludwig Stein, t. IV). 1 broch. in-8o, de 90 p., Berlin, Leonhard Simion, 1912. — Le distingué psychologue suédois s’est proposé de définir la « situation régnante dans le champ de l’investigation psychologique ». L’on ne s’étonnera pas que le bilan qu’il dresse enregistre moins de résultats acquis que de problèmes à résoudre, et que l’auteur nous apporte principalement l’énumération et la classification des controverses qui partagent les psychologues. Ces controverses se rapportent, les unes à l’objet, les autres à la fonction, les dernières enfin à la méthode de la psychologie. En ce qui concerne l’objet de la psychologie, elles portent sur sa définition même (science de l’âme ou substantialisme psychologique versus psychologie sans âme ou collectivisme), sur le rapport entre l’âme et le corps (matérialisme, dualisme, « duplicisme », monisme immatérialiste, positivisme), la morphologie de la vie psychologique (intellectualisme contre volontarisme, déterminisme contre indéterminisme). En ce qui concerne la fonction de la science psychologique, celle-ci doit-elle être une science empirique, où il n’y aurait place que pour la description et la classification, ou une science s’efforçant d’atteindre à une explication soit ontogénétique soit phylogénétique, soit mécanique soit téléologique ; la psychologie peut-elle être au contraire une science spéculative ? La psychologie doit-elle attendre son progrès des recherches portant sur l’individu normal et sain, ou doit-elle s’attacher principalement à l’étude de l’individu malade (psychopathologie) ou bien doit-