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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE


SUPPLÉMENT
Ce supplément ne doit pas être détaché pour la reliure.
(N° DE JANVIER 1914)



LIVRES NOUVEAUX

Le Rythme du Progrès, Étude sociologique, par Louis Weber. 1 vol. in-8, de xiv-311 p., Paris, Alcan, 1913. — Auguste Comte considère l’évolution du genre humain, interprétée en termes intellectuels, comme ayant commencé par le fétichisme et la théologie, continué par les fictions de la métaphysique, et venant s’achever à la science positive. M. Louis Weber n’aime pas une philosophie de l’évolution qui assigne au progrès un terme où celui-ci doive finir par mourir : l’évolution est, par essence, indéfinie. Il n’admet pas davantage que le fétichisme soit le stade initial de l’évolution intellectuelle. Ni la psychologie individuelle ni l’observation des peuples primitifs, ne nous autorisent à l’affirmer. Le fétichisme est déjà un système explicatif des choses, une « métaphysique ». Or « comprendre est un acte intérieur, que nous ne jugeons chez autrui que par la parole ou les actions visibles. Cet acte intérieur, c’est l’intelligence prenant conscience de sa fonction pratique. Sa fonction explicative suppose préalablement donnée une matière sur laquelle elle peut s’exercer, c’est-à-dire un système de représentations et d’idées que l’action même, l’action intelligente, a contribué à former » (p. 87). L’ « intelligence explicative » — et sous cette rubrique il faut faire rentrer la théologie, la métaphysique, la science abstraite — suppose l’existence antérieure de l’ « intelligence agissante », orientée vers l’action. L’homme a été fabricant d’outils avant d’être fabricant de systèmes ; « positiviste » ou « pragmatiste » pourrait-on dire, avant d’être théologien, métaphysicien ou savant. D’ailleurs, la pensée « spéculative », la « pensée de réflexion », s’égare, divague, dès qu’elle perd sa base solide, se détache du matériel technique que lui fournit le travail de l’intelligence pratique. « Au lieu de la division en science pure et science appliquée, qui est artificielle, et qui n’est d’accord avec les faits que dans un petit nombre de cas, observés de nos jours, où l’on voit l’industrie mettre à profit certaines découvertes théoriques, il serait plus conforme à l’histoire de distinguer, dans le progrès de la connaissance et de la réflexion, deux tendances et deux courants : une tendance vers l’utilisation de la matière et une tendance vers la compréhension de l’être ; un courant de technique et un courant de pensée réfléchie, qui s’entrecroisent et se balancent sans toutefois jamais fusionner entièrement, dont les apports combinés constituent le savoir total, et dont la double impulsion engendre et règle le progrès d’ensemble de l’intelligence » (p. 136).

Dans une série de chapitres, qui visent moins à imposer un système qu’à suggérer les solutions possibles d’une série de problèmes très complexes, M. Louis Weber essaie de montrer comment se laisserait interpréter le progrès de l’intelligence humaine, alternativement pratique et spéculative. D’abord, l’homme, à peine différent physiologiquement des autres animaux, se différencie d’avec eux non pas en ce qu’il se fait une religion, mais en ce qu’il fabrique des outils, instruments tranchants, instruments perforants, et découvre l’utilisation du feu. Mais il ne faut pas croire que le progrès de la pensée se développe continûment à partir de ces premières inventions. L’homo faber découvre un « outil » nouveau, qui est d’une importance sans pareille, le langage ; et cet outil offre des caractères extraordinaires, qui fascinent