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intelligibles : du moment qu’il y a ces objectifs, nous comprenons ce que nous disons, quand nous parlons de ce qui s’est passé avant notre naissance et avant même l’apparition de l’humanité ou de ce qui se passera après notre mort et après même la disparition de l’humanité.

La philosophie empirio-logique, conclut l’auteur, est seule susceptible de se prêter à une féconde élaboration collective et, s’il est d’autres donnés humains (a-priorisme rationaliste, intuition bergsonienne), plus riches que le sien, ce dont il ne songe pas à douter, la philosophie qu’il propose reste fondamentale, car elle est seule accessible à toute l’humanité, et constitue pour les philosophes de l’intuition un guide grossier, mais sûr.

Espèces et variétés d’intelligences, par F. Mentré, 1 vol. in-8 de 291 p., Paris, Bossard, 1921. — L’auteur propose de distinguer l’étude des types intellectuels de l’étude du caractère sous le nom de noologie. Son ouvrage se présente essentiellement comme une analyse et une discussion des catégories distinguées par les psychologues et les écrivains, ou impliquées dans la terminologie courante. Personnellement, M. Mentré considère comme bien fondée la division en praticiens, contemplatifs et méditatifs, et veut que chacun de ces types soit caractérisé par une forme spéciale de représentation. Mais ce dernier point n’est pas précisé. Il faut louer l’utilité d’une revue générale de ce genre, qui est présentée sous une forme très claire, bien qu’elle soit un peu diffuse, et que dans l’ensemble elle ne mette en lumière aucune idée de méthode. Par l’esprit et par les formules, elle fait corps tout entière avec la vieille psychologie des facultés. On y lit par exemple : « Le noologiste aurait besoin de préciser les relations qui existent entre les différents éléments de l’intelligence : sensations, images, souvenirs, idées, formes de l’association, attention, jugement, raisonnement. Tâche délicate entre toutes et qui est à peine amorcée (p. 32). » Nous croyons cependant que l’auteur se trompe de beaucoup dans sa conclusion quand il écrit : « Les distinctions les plus nettes en apparence ne s’atténuent-elles pas quand on les presse, et ne les voit-on pas finalement s’évanouir ? Je crois que cette difficulté n’est pas propre à la noologie : si on la prenait au sérieux, elle arrêterait toute recherche psychologique ; mais elle n’inquiète personne (p. 18). »

Le Mensonge du monde, par Fr. Paulhan, 1 vol. in-8 de 360 p., Paris, Alcan, 1921. — La chute d’une branche cassée par le vent, la manifestation d’un instinct, l’organisation d’une existence humaine en vue de l’accomplissement d’un devoir, sont des phénomènes reliés par l’analogie suivante : leurs éléments, molécule d’air ou affirmation d’un idéal, constituent des systèmes. Plus la rencontre des éléments sera elle-même systématisée, plus nous jugerons que nous nous élevons du mécanique au vital et du vital au conscient. Par exemple, l’automatisme de l’instinct, c’est son inaptitude à s’adapter à un grand nombre de situations que l’on conçoit. Il y a donc une forme sous laquelle l’être se manifeste dans tous les cas : c’est celle du système ; et, posant que des apparences ne peuvent être universelles, sans exprimer jusqu’à un certain point l’essence des choses, nous apercevrons l’existence, à son plus haut degré de généralité, comme une association hiérarchisée d’éléments, où un « même » se subordonne un ou plusieurs « autres », tandis qu’il est à son tour un « autre » par rapport à un « même » supérieur, et ainsi indéfiniment, mais non pas régulièrement, car le désordre et le conflit règnent entre les systèmes, comme ils font leur structure. Toute existence, matérielle, vitale, psychique ou sociale, est une opposition incomplètement surmontée : elle enveloppe ce qui la nie, mais elle n’est réelle et ne progresse que par ce qui la nie ; elle a son lien au-dessus du désordre total, et au-dessous de la coordination absolue, vers laquelle elle est orientée. C’est cette image du monde que l’auteur développe, d’abord au point de vue statique, puis au point de vue évolutif, en prenant appui sur l’associationnisme psychologique et les conceptions atomistes. Il a poussé assez loin l’interprétation ontologique de leurs analogies réciproques, pour admettre que les relations des hommes manifestent à une échelle agrandie le jeu des éléments au sein de toute association, au moins dans ce qu’il a d’essentiel (p. 13). On revient ainsi à l’interprétation téléologique du monde, mais transportée du tout à ses parties. Le degré de finalité d’un système mesure son degré de réalité, l’imperfection et le désordre y sont la condition du mieux, c’est-à-dire d’un ordre croissant ; la discordance est utilisée pour l’accord, le mal pour le bien, l’erreur en vue de la vérité accessible. Ces oppositions, qui vont toujours ensemble et sont surmontées en partie dans la mesure où le système existe, montrent que la réalité, sous quelque forme que nous la saisissions, a une façade. Elle s’affirme chaque fois sous un certain aspect, et cet aspect dément chaque fois ce qu’elle est : efforts obscurs et essentiels pour faire servir la discordance à la naissance et à la conservation d’une