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Cette religion, la plus simple que nous connaissions, n’a pas l’idée de divinité proprement dite. Ce qui en fait une religion, c’est la distinction absolue qu’établissent ses adhérents entre les choses sacrées et les choses profanes, et cette distinction se trouve dépendre étroitement de l’organisation sociale. Le système social est ici, comme celui de la religion, d’une simplicité extrême. Les membres du clan ne sont attachés les uns aux autres ni par la communauté du sang ni par celle de l’habitation. Le lien qui les unit, c’est le culte : un même nom, un même emblème, des rites communs, une conception commune du sacré et du profane, voilà ce qui fait l’unité du clan.

Cette opposition du sacré et du profane demande une explication. D’où vient le sentiment du sublime que l’homme éprouve, déjà à ce stade de la civilisation, devant certaines choses ? Comment s’établit la distinction de l’élevé et du bas, dans l’homme et au dehors ? Par quelle voie l’homme est-il amené à reconnaître l’existence de quelque chose de plus grand, de plus compréhensif que lui ?

Le culte des âmes aussi bien que celui de la nature impliquent une telle distinction. Mais le système religieux, dit totémique en présence duquel nous nous trouvons ici est antérieur à ces deux formes de la religion.

Le totem est un nom, et un emblème, commun aux membres du clan qu’il oblige à se secourir mutuellement, à se venger, à célébrer en commun les funérailles de leurs morts, à observer certaines pratiques et certains interdits matrimoniaux. Le totem est un animal ou une plante ou un objet inanimé. L’homme ne fait qu’un avec son totem et par son intermédiaire il entre en communion avec son ancêtre dont les réponses lui sont transmises par l’être totémique et qui s’y trouve peut-être incarné. L’Australien, qui ne sépare pas l’image d’avec la chose représentée, ne distingue pas non plus entre son totem et sa propre individualité ou celle de son ancêtre. Il devient ainsi solidaire de tous ceux qui ont le même totem. Après une initiation particulière, en partie pénible et douloureuse, les jeunes gens sont admis à prendre part au culte totémique qui donne accès au monde des choses sacrées. Un instrument sacré, le churinga ou tjurunga, qu’ils reçoivent au cours des cérémonies d’initiation met chacun des néophytes en rapport intime avec son totem et son ancêtre ; la force réconfortante et stimulante qui émane de ce churinga le fait garder précieusement ; sa perte est considérée comme un grand malheur.