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d’après ses enseignements, les principes mêmes de leurs théories logiques et gnosiologiques.

Le mouvement qui, actuellement, porte les philosophes vers les sciences est très certain et très général. Il ne paraît pas douteux qu’un mouvement réciproque ne se dessine, et que, de leur côté, de nombreux savants ne considèrent aujourd’hui la philosophie d’un œil tout autre que ne faisaient les savants du siècle dernier. Ce changement d’idées se manifeste en particulier chez les mathématiciens.

Jadis ils jugeaient tout à fait inutile d’examiner les principes de leur science. Ces principes, disait-on, étaient très simples et évidents par eux-mêmes. On n’avait pas besoin d’en connaître le contenu, ni même de se demander s’ils répondaient à quelque chose de réel : il suffisait qu’ils fussent clairement et précisément définis. Le mathématicien, a-t-on dit, ne sait pas de quoi il parle, ni si ce qu’il dit est vrai : il se comprend, et cela lui suffit.

Bien plus, il ne déplaisait pas au mathématicien que ses principes choquassent la logique des profanes « Allez toujours, et la foi vous viendra ! » répétait-on avec d’Alembert. Il ne s’agissait que d’acquérir, par l’exercice, des habitudes d’esprit appropriées. Je me rappelle qu’un manuel de mathémathiques dont je me servais au lycée enseignait tranquillement que le nombre négatif, le nombre irrationnel étaient des notions absurdes, mais se justifiaient par les généralisations qu’ils rendent possibles.

Or les mathématiciens d’aujourd’hui, ne sont plus disposés, en général, à faire ainsi bon marché de l’intelligibilité et de la valeur intrinsèque de leurs principes. Et ils ne s’effraient plus d’aborder l’examen de l’origine et de la signification de ces principes, quand bien même cette recherche ne serait plus exclusivement mathématique, mais ressortirait à la philosophie.

Ils se demandent d’où viennent ces principes, s’ils sont strictement formels, et exactement réductibles à des principes purement logiques, ou s’ils se rapportent à une réalité spéciale, qui a ses propriétés, ses lois, sa nature, indépendante de nos raisonnements.

De même, en quoi consiste la vérité des mathématiques ? Les axiomes y sont-ils reçus par cette seule raison qu’ils sont commodes, ou possèdent-ils, en eux-mêmes, quelque vérité? En quels sens, précisément, peuvent-ils être dits commodes, peuvent-ils être dits vrais ?