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naissions, la science royale, celle qui, intermédiaire, en quelque sorte, entre l’esprit et les choses, paraît, plus qu’aucune autre, capable de nous apporter des révélations sur le fonds impénétrable et les mystérieuses harmonies de l’être et de la pensée.

Votre congrès signifie que, si haute que soit votre estime pour la pratique, vous ressentez encore, comme les Platon et les Aristote, la joie de savoir et de comprendre ; que le culte de la théorie proprement dite, de la pure spéculation a encore ses fidèles.

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Le rapprochement entre mathématiciens et philosophes, dont vous donnez l’exemple, n’est pas, d’ailleurs, un fait isolé : c’est une manifestation d’un mouvement général fort important. Naguère encore science et philosophie nous apparaissaient comme étrangères l’une à l’autre. Le XIX° siècle s’était fait, de chacune d’elles, une idée qui semblait peu favorable à l’entretien de relations entre ces deux modes de penser. L’opposition de l’esprit romantique et de l’esprit réaliste se retrouvait dans la distinction radicale établie entre les sciences et la philosophie : celle-ci considérant exclusivement, les choses du point de vue d’une intuition interne, celle-là se proposant, précisément, d’éliminer de la connaissance toute donnée subjective, pour ne considérer que les rapports objectifs des choses les unes avec les autres. C’est pourquoi savants et philosophes s’ignoraient systématiquement. Et volontiers on eût pu appliquer à ceux-ci comme à ceux-là le dicton ancien Spernunt quod non intelligunt.

Or, notre temps voit diminuer de plus en plus cette défiance mutuelle. Chacun, s’interrogeant, se demande s’il est bien certain qu’il se suffise, et n’ait rien à apprendre de ceux qu’il dédaignait.

Cette disposition d’esprit est manifeste chez les philosophes dans leurs rapports avec les mathématiciens.

Les philosophes, considérant les mathématiques, se sont aperçus de l’insuffisance de leur logique classique pour expliquer les raisonnements effectifs de l’esprit humain. La logique classique, en effet, enseigne que la déduction rigoureuse consiste à descendre du général au particulier. Or les mathématiques pratiquent essentiellement une marche qui va du particulier au général. A peine ont-elles effectué une démonstration, qu’elles considèrent l’objet démontré comme un cas particulier d’un objet plus général, et s’efforcent