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UN FRAGMENT INÉDIT DE CONDORCET


INTRODUCTION
I

Lorsque Condorcet, craignant le tribunal révolutionnaire, se fut réfugié rue Servandoni, il se mit, on le sait, au travail et élabora son Tableau des progrès de l’esprit humain. Ignorant de l’avenir, il résuma d’abord sa pensée en un court aperçu ; puis, ayant du temps devant lui, il donna un développement nouveau à sa pensée, et rédigea des morceaux plus amples, qu’il se proposait d’insérer dans l’œuvre définitive. Les éditeurs n’ont point publié tout ce qu’il nous a laissé. Soit piété mal comprise, soit par dédain injustifié, ils ont délibérement négligé toute une série de notes difficiles à classer, et de forme imparfaite, mais assez longues, et parfois fort curieuses, que Condorcet avait écrites, soit pour préparer son travail, soit plutôt pour les reprendre à son heure et les mettre au point. Ils les ont offertes plus tard à la Bibliothèque Nationale, où Arago et O’Connor n’ont point été les consulter. C’est peut-être dans ces notes que la pensée philosophique de Condorcet apparaît le plus clairement, et c’est pourquoi il a semblé intéressant d’en extraire quelques pages.

Les lignes qu’on va lire précisent sur deux points la doctrine de Condorcet. Voici le premier. L’on sait que Condorcet a été un optimiste à la façon de ses contemporains, qu’il a cru en la bonté des hommes, en la générosité de leurs inclinations naturelles. Mais, en 1793, il voit avec désespoir que cette bonté native est étouffée par les haines, les passions, les ̃préjugés, que la foule est le jouet des excitateurs et des tribuns. Il n’abandonne pas son rêve, mais il le reporte plus loin dans l’avenir. La fraternité humaine ne pourra exister que par les progrès des lumières. En dissipant les malentendus et les erreurs, en permettant aux hommes de porter sur les gens et les choses un jugement objectif et critique, l’instruction favorisera la paix universelle : elle substituera dans bien des cas les discussions aux querelles. Et c’est pourquoi le philosophe subordonne l’existence durable des démocraties à la multiplication des écoles : la question scolaire reste plus que jamais la clef de voûte de son système.

Pour rapprocher les peuples les uns des autres, il a entrevu la nécessité d’une langue universelle, destinée à prévenir les malentendus et à faciliter la transmission des découvertes. La première partie de l’œuvre à réaliser, est la création d’un vocabulaire scientifique, qui puisse hâter le