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mouvement de ce siècle[1]. » Inversement il reprochera à Louis Blanc de « contredire les tendances manifestes de la civilisation » : celle-ci veut, non pas qu’on subordonne la personne privée, à la personne publique, mais au contraire que chaque âme humaine puisse devenir « un exemplaire de l’humanité tout entière[2]. Avec des sentiments personnalistes aussi intenses, comment un réalisme social, sous quelque forme que ce soit, peut-il logiquement s’accorder ?

Que les deux tendances doivent ou non s’accorder logiquement, une chose en attendant est sûre : c’est que dans l’œuvre de Proudhon elles coexistent. Avec autant de véhémence qu’il affirme le prix de la personnalité, Proudhon insiste sur la réalité de l’être social. Les réflexions à l’aide desquelles il la démontre comptent, à ses yeux, parmi les gains principaux de son effort intellectuel. Dans sa Théorie de la propriété[3], lorsqu’il dresse le bilan des seize démonstrations « très positives » qu’il lègue au monde, lui le « démolisseur », ne cite-t-il pas en première ligne une théorie de la Force collective, « métaphysique du groupe », à laquelle il rattache et sa théorie de la Nationalité et sa théorie de la Division des pouvoirs ? Il espérait, dans un livre qu’il a bien des fois promis, tirer tout à fait au clair ces théories ; mais déjà, à plus d’une reprise, il en avait esquissé les plus grandes lignes. La Justice dans la Révolution et dans l’Église fait une large place, dans les Études : quatrième et septième, aux notions de puissance et de raison collectives. Les Contradictions économiques signalent les besoins en même temps que les pouvoirs propres à Prométhée, c’est-à-dire à la société considérée comme un être unique[4]. Mais bien plus, dès son premier mémoire sur la Propriété, Proudhon exploite la distinction entre la force collective et la somme des forces individuelles : il ira jusqu’à déclarer que cette distinction est alors sa pensée fondamentale. C’est dire que du commencement à la fin de son œuvre la préoccupation sociologique est présente.

Pour résumer et classer commodément les théories qu’elle lui suggère, nous traiterons successivement, en rappelant comment Proudhon passe de l’un de ces termes à l’autre, de la force collective, de l’être collectif, de la raison collective[5].

  1. Questions d’aujourd’hui et de demain, 3e série, p. 162.
  2. Articles de la Voix du Peuple, dans les Mélanges, III. p. 22.
  3. P. 215-6.
  4. Ch. II, § 3.
  5. Correspondance, I, p. 233, Lettre à M. Blanqui (édit. de 1841), p. 118.