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Dieu, enfermés dans le cercle de nos pauvres attributs négatifs. Ou, si l’on veut avec Hermann Cohen mettre d’une manière spirituelle, sinon tout à fait correcte, cette idée en rapport avec le Timée de Platon et avec la doctrine néo-kantienne du jugement indéfini expliqué par Cohen[1], nous demeurons ici enfermés toujours dans le cercle des simples négations de privations. Et tout ce que nous pourrions suggérer par ce chemin indirect sur les attributs négatifs de Dieu, ne peut, selon Maïmonide, avoir de commun avec l’être divin rien, même pas le nom : c’est une pensée fondamentale qui ressemble de très près à celle qui sera plus tard reprise par Albert le Grand, saint Thomas d’Aquin et même par Spinoza.

Nous ne pouvons jamais dire positivement que Dieu est doué de volonté ni qu’il est doué de puissance, de vie, de science dans le sens où nous l’entendons. Presque toute la première partie du traité philosophique essentiel de Maïmonide, presque tous les premiers soixante-quinze ou soixante-seize chapitres du Moreh Newuchim du Guide des Égarés (ou Guide des Hésitants, suivant le titre arabe primitif, Dalàlat ni Hàirin), publié en 1190, sont remplis par un effort permanent pour mettre ce point en lumière ; toutes les difficultés qui s’opposent à la doctrine de la théologie négative, à cette doctrine considérée sous sa forme la plus extrême, sont ici réfutées soigneusement et avec une précision minutieuse dans une lutte perpétuelle contre l’Interprétation littérale des images bibliques[2].

Maïmonide accepte les preuves aristotéliciennes de l’existence de Dieu. Mais telle est la rigueur de sa pensée qu’il ne veut même pas reconnaître à son Dieu l’existence comme une particularité

  1. Voir H. Cohen, « Charakteristik der Ethik Maimunis », dans Moses ben Maimon, Bd. I, 1908, p. 91 et suiv. De même F. Bamberger : Das System des Maimonides, 1935, et Leo Strauss : Philosophie und Gesetz, 1935, essaient, d’établir des rapprochements entre Maïmonide et Platon. Mais il me semble que les interprétations de Platon sont ici aussi diverses que celle de Maïmonide sont peu convaincantes sur ce point. Certainement la « loi » du Judaïsme est plus une loi « politique » qu’une philosophie ; et Platon était plus un penseur politique qu’Aristote le pur scientiste. Mais ces rapports découverts de cette manière entre le Judaïsme et Platon, comme Strauss les expose maintenant, ne sont pas moins vagues que ceux qui furent découverts il y a trente ans par Cohen, quoique les deux interprétations de Platon soient absolument contraires l’une à l’autre.
  2. Cf. maintenant l’apologie travaillée de la signification philosophique de ces chapitres par S. Rawidowicz : « Homme et Dieu » (Mosnajim, Tel Aviv, mars-avril 1935).