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presque toutes ses notions et presque toutes ses méthodes scientifiques essentielles soient des notions et des méthodes grecques, tandis que presque toutes ses catégories religieuses proviennent du Judaïsme ou des religions qui en sont issues.

Mais pendant toute la longue époque qui va de la naissance de Jésus-Christ jusqu’à la hauteur du Moyen Age, pendant le cours des onze siècles qui s’écoulent entre Philon d’Alexandrie et la Scolastique, aucun penseur avant Maïmonide n’a aussi clairement porté son regard sur ce contraste brutal entre Croyance et Savoir. Et nul n’a réalisé sur ce point une réconciliation si impressionnante pour son temps. Ses ancêtres, islamiques et juifs, ont ou bien pris catégoriquement parti pour la révélation, ou bien ont seulement ressenti d’une manière confuse ce contraste entre la foi et la science.

Seul parmi ses contemporains, Maïmonide est aussi grand comme rénovateur religieux par son Mischneh Torah que comme philosophe par son Moreh Newuchim. Le premier grand ouvrage du philosophe, le Mischneh Torah, nous apporte déjà par son sujet, qui est une codification du cérémonial talmudique, de la théologie pure. Mais même ce Mischneh Torah fut à bon droit taxé de rationalisme par les orthodoxes rigoureux. Inversement, l’ouvrage philosophique essentiel de Maïmonide, le Moreh Newuchim, le « Guide des Égarés », est apparu encore aux esprits les plus religieux du temps eux-mêmes comme profondément pénétré de foi.

Maïmonide restera éternellement l’un des plus glorieux représentants de ce petit groupe de rares penseurs qui, avec une conscience extrême et une extrême opiniâtreté, ont voulu à la fois ces deux choses une réponse aux questions religieuses suprêmes et les plus générales, une religiosité créatrice, et par ailleurs une argumentation consciencieuse et sévère, qui fût en harmonie avec les nécessités du temps dans les choses les plus hautes et les plus universelles.

Maïmonide a été, avec une harmonie qui n’a jamais depuis été atteinte, à la fois rationaliste et croyant. Kant lui-même a, près de mille ans plus tard, lutté pour un équilibre analogue. Lui aussi annonça l’intention de supprimer le savoir en tant que connaissance métaphysique absolue et de laisser place à la croyance. Mais il me semble que chez Kant le rationaliste l’emportait sur le